Journées organisées par l’unité de recherche ECLLA (Études du Contemporain en Littératures, Langues, Arts) de l'Université Jean Monnet (Saint-Étienne) et le random(lab) de l’unité de recherche Numérique en art et design de l’Esadse-Ensba Lyon, en collaboration avec les lieux et associations Les Limbes, Librairie éphémère, Lune et l’autre, Infokiosque de l’Amicale de la photocopieuse, et avec le soutien de l'Institut ARTS (Arts, Recherche, Territoires, Savoirs) de l'Université Jean Monnet.
Comment Internet a permis de faire exister des objets culturels et des expériences artistiques en dehors des circuits marchands et institutionnels ? S’agit-il d’objets culturels et d’expériences artistiques qui ne circuleraient pas du tout en l’absence de certains écosystèmes de diffusion alternatifs ? Faut-il inventer des économies (le don, le piratage…) et des structures juridiques (les licences libres…) pour faire exister autrement ces productions créatives ? Est-il simplement question d’échanger des films (livres, disques etc.) d’une façon différente ou bien aussi de construire d’autres relations sociales ? Ces relations concernent-elles uniquement la vie online - ou bien engendrent-elles et accompagnent-elles des formes de vie collective off-line ? Peut-on dire que ces écosystèmes de diffusion hétéroclites patrimonialisent et archivent notre histoire artistique d’une manière inhabituelle et pourtant précieuse ? S’agit-il de fossiles d’un heureux Internet d’avant les plateformes où régnait le peer-to-peer, ou bien de niches de potentialités à venir ? Comment ces environnements alternatifs de circulation artistique mettent en discussion radicale une série de présupposés traditionnels sur la rémunération de la création et la protection des productions plastiques ou intellectuelles ? Des dispositifs tels que l’intermittence ou le revenu universel pourraient-ils nous aider à entreprendre une critique du copyright ?
Toutes
ces questions s’agglomèrent au carrefour entre droit de la création, économies
de la publication et usages sociaux des productions culturelles.
Ces journées
de rencontres et de réflexion font écho à quelques actualités du monde éditorial
et du débat intellectuel, notamment Patrimoine
pirate de Kenneth Goldsmith, les livres issues des activités de La buse
(Notre condition d’Aurélien Catin et Aujourd’hui, on dit travailleur·ses de l’art de Julie Burtin Zortea) ainsi que Copiez
ce livre d’Eric Schrijver. Elles associeront des chercheur·euse·s issu·e·s de
différentes disciplines (droit, info-com, anthropologie…) à des artistes, des
éditrices et des étudiant·e·s dans le but de problématiser d’une façon critique
et créative la corrélation entre dispositifs de diffusion, tradition de la
propriété intellectuelle et statut du travail artistique.
18h30 – Du serveur à l’étagère : Quelle forme donner au pdf imprimé ?
Mathias
Hû (étudiant Esadse/artiste)
Parmi les .pdf qui transitent entre nos PC et les
serveurs, il arrive que nous voulions, pour diverses raisons, en sortir
quelques-uns de l’écran pour leur donner une existence papier. Cette conférence
est un petit tour des spécificités du processus d’édition de livres pdf, de la
nature des documents d’origine, en passant par les différents enjeux et outils
de l’impression et du façonnage, jusqu’à leurs utilisations et existences comme
objets dans nos bibliothèques.
19h – Projection autogérée CRITICAL SPACE
L'Arbre, le Maire et la
Médiathèque, Éric Rohmer, 1993
Thomas Goumarre (étudiant Esadse/artiste)
Quelle différence faites-vous
entre un architecte et un cinéaste ?
Éric Rohmer : Le cinéaste prend le monde tel qu’il est ; l’architecte le
modifie. Sa responsabilité est effrayante, car il ne peut pas construire sans
détruire. Ou bien il construit à la campagne, et il commet une agression contre
la nature. Ou bien il construit dans un tissu déjà existant, et doit donc en
détruire un fragment pour le remplacer par un autre.
On peut évidemment objecter que le fragment détruit méritait de l’être. C’est
ainsi qu’au XVIIe siècle on remplaça certains édifices du Moyen-Âge par des
neufs qui, cent ans plus tard, furent à leur tour abattus par Haussmann. Mais, à
présent, on s’aperçoit qu’un patrimoine que l’on croyait sans intérêt méritait
d’être gardé : il s’en est fallu de peu que Le Corbusier ne fit raser ce qui
est devenu aujourd’hui le musée d’Orsay. À propos de la destruction d’une tour
médiévale à côté des Arts et Métiers, Victor Hugo a écrit : « Il ne faut pas
démolir la tour, mais l’architecte. »
Free pop-corn sur place !
19h – Chaque
fête fête la copie / Every party is a copy party – Éric Schrijver (Artiste)
Les lois impactent la création. Dans la musique,
le sampling est arrivé, a connu son apogée et a quasi disparu suite à une
montée de procès. Aujourd’hui, seuls les artistes qui ont l’appui des grands
labels peuvent se permettre un sample reconnaissable. Les autres, nous
faisons avec les moyens de bord. Pourtant, l'envie de rendre hommage est
toujours là. C'est un plaisir singulier d'entendre les rythmes et les phrases
voyager d'un univers musical à l’autre. Et les dj’s et musicien·nes y parviennent quand même : les
pistes de danse aujourd’hui
sont pleines de remix, de mashups, de ré-interprétations.
Quelles sont les stratégies
de distribution et les réseaux parallèles qu’iels
emploient, et qu’est-ce que ça implique pour les praticien·nes des autres disciplines ?
20h – Présentation de Copiez ce livre (2023) et d'autres aventures éditoriales des Commissaires anonymes – Mathilde Sauzet (éditrice, commissaire et enseignante)
20h30 – Apéritif et mixtapes
9h30 –
Café
d’accueil
10h –
Le
statut juridique du « travailleur intellectuel » et la fonction sociale du
droit d'auteur : un débat ancien au cœur du nouvel écosystème de la création –
Marion Briatta (Maître de conférences en Droit - UCLY)
Il y a
quelques mois, le Parlement européen ouvrait un chantier sur la reconnaissance
d'un statut social pour les artistes et travailleurs du secteur de la culture.
Actant de la précarité croissante à laquelle est livrée l'immense majorité de
ces acteurs, le Parlement européen a émis plusieurs recommandations visant à leur
garantir une protection sociale renforcée dans un environnement bouleversé par
les usages numériques. Si l’écosystème contemporain de la création est sans
précédent, le projet lancé par le Parlement européen est loin d’être nouveau et
fait directement écho au projet similaire porté par le ministre Jean Zay sous
le Front populaire. Un projet de réforme du droit d’auteur qui cherchait
également à améliorer la situation sociale des « travailleurs intellectuels »,
mais qui échoua en raison de l'opposition farouche de certains intermédiaires
de la création. En étudiant de manière croisée ces deux projets et les arguments
de leurs opposants, nous essaierons de comprendre ce qui se joue politiquement,
juridiquement et philosophiquement derrière l'adoption d'un tel statut social
des « travailleurs intellectuels ». Un constat s’impose d’ores et déjà à nous.
Dans les années 1930 comme aujourd'hui, une telle réforme impliquerait de
reconnaitre la fonction sociale du droit d'auteur et donc, de remettre en
question le paradigme propriétaire et individualiste ayant présidé la
construction de ce droit.
11h –
Le travail gratuit, l'art et
l'amour –
Fanny Lallart (artiste et éditrice)
Je présenterai mon travail d'écriture, de performance et d'éditrice. Je
parlerai de mon équilibre économique en expliquant mes différentes ressources
et mes méthodes pour trouver de l'argent. Je propose en deuxième partie
de présentation une lecture d'un texte appelé « La Fin du roman », qui
durera une trentaine de minutes. Ce texte a été écrit en septembre 2023 et
parle de travail alimentaire, des révoltes qui ont eu lieu suite à l'assassinat
de Nahel Merzouk, et de contradictions qui peuvent nous traverser.
14h – Contre-bande: une brève
histoire de la création alternative en AURA (1980-1999) – Simon Debarbieux
(anthropologue & disquaire)
Dans le sillage des contre-cultures musicales de la fin des années 1970
(musique industrielle, punk, no-wave), le début des années 1980 voit
l’émergence d’une nouvelle scène musicale, portée par des acteurs faisant
preuve d’une créativité débridée et intuitive, et opérant en marge des circuits
formels. Une nouvelle manière de faire est à l’œuvre : libre et indépendante,
sous le signe du Do It Yourself et souvent militante dans son rejet des valeurs
capitalistes, bourgeoises et élitistes qui marquent la société d’alors.
Cette scène musicale (qualifiée de post-industrielle), bien plus qu’unie par
une esthétique sonore, est liée par des pratiques et des logiques sociales.
Elle est structurée en réseau – constituée d’acteurs éparpillés de par le
monde, de l’Europe occidentale à l’Amérique du Nord via le Japon. Elle est
aussi épistolaire, non marchande, indépendante : ces mêmes acteurs entretiennent
des correspondances et s’échangent, par le biais du service postal, leurs
productions créatives (musiques enregistrées sur cassettes, dessins,
photographies, peintures, fanzines). Et tous ces acteurs créent, produisent,
échangent,
publient, impriment, copient, bien peu soucieux des questions de propriété
intellectuelle et des droits d’auteurs.
15h - Inspiration
Libriste - Vincent Mabillot (Maître de conférences en Info Com – Lyon 2)
À
l'heure où le logiciel se privatisait dans les années 80, le logiciel libre
émergeait comme une alternative durable et aujourd'hui féconde. Plus encore, le
logiciel libre est la clé de voûte de notre univers numérique. Au travers de
Wikipédia ou OpenStreetMap, la légitimité du libre s'est étendue à la
connaissance et la création via les creative commons. Elle s'est re-matérialisée
dans les boites à partage, version in situ du peer to peer. Le libre se
distingue par le fait qu'il contrefait le vol par son « involabilité ». Mais ses
modèles économiques restent méconnus et suspects pour qui vit du droit d'auteur
et de reproduction.
La
création est-elle le parent pauvre de l'émancipation libriste ? Le propos
de cette intervention sera, dans un premier temps, de resituer le logiciel
libre comme modèle de création et d'innovation tant technologique qu'économique
ou social. Dans un second temps, il sera question de repérer les passerelles ou
les impasses d'une transcription des principes du logiciel libre vers la
création artistique.
16h –
Une œuvre qui rémunère est une
œuvre captive
– Aurélien Catin (artiste et auteur)
Lors de cette intervention, nous verrons comment
la logique patrimoniale du droit d'auteur et la longue tradition du paiement à
la pièce dans le champ du travail artistique jouent contre la création et la
diffusion des œuvres. Nous plaiderons en faveur d'un nouveau statut des
travailleur·s·es de l'art
et de son corollaire : un salaire détaché de l'activité.
17h – Restitution du workshop: Curation Pirate, Pirate Care
Ouvert aux étudiant·e·s de l’Esadse et de l’Université Jean Monnet, cet atelier proposera
aux participant.es d’explorer et de questionner le monde des archives
numériques « fantômes » – tel que UbuWeb, Derives ou Monoskop - qui
cataloguent et mettent à disposition une quantité innombrable d’artefacts
artistiques et intellectuels (livres, films, sons…). Dans un premier temps, nous
présenterons ces écosystèmes et discuterons de leur fonctionnement à partir de
quelques propositions théoriques ainsi que de nos expériences situées. Ensuite,
nous proposerons au groupe d’inventer des dispositifs d’activation et de
rediffusion de certains matériaux trouvés par un geste de curation artistique
pouvant donner lieu à une installation, une séance d’écoute, un espace
numérique, un objet éditorial imprimé…
18h30 – DERIVES.tv, une libre
circulation de films –
David Yon (ATER en études cinématographiques & cinéaste)
La caméra des frères Lumière servait à la fois à
enregistrer et à projeter des images. Aujourd'hui, ces fonctions ont été séparées
par une hyper spécialisation technique et je me demande s'il ne serait pas
intéressant de retrouver une autonomie dans la diffusion des films. Ce désir
est à l’œuvre avec la revue de cinéma Dérives que nous avons fondée avec des
amis. Comme une tentative de partager des films hors des circuits marchands.
19h30 –
Programme
de courts-métrages tirés du site Derives :
St#1, Aude Fourel (2011)
Allegro, Véronique Goël (1979)
• Librairie éphémère en collaboration avec Lune et l’autre.
• Infokiosque de l’Amicale de la
photocopieuse
(brochures en libre accès sur travail artistique, critique de la propriété
intellectuelle et dispositifs de diffusion alternatifs)