Idées

- de voiture, + de culture

Programme européen SMOTIES dans la vallée du Dorlay

Mobilités douces à La Terrasse-sur-Dorlay © Coline Vernay

par Coline VernayColine Vernay

La vallée du Dorlay, à équidistance de Lyon et Saint-Étienne, est peu connue des habitants de ces métropoles. En tant que « territoire périphérique éloigné des zones urbaines », elle est actuellement une des 10 participantes au projet européen Human Cities SMOTIES. Celui-ci consiste à « promouvoir l'habitabilité dans les territoires éloignés par le design et la créativité », chacun ayant ses spécificités et problématiques propres. On présente souvent la vallée du Dorlay comme située à « 40 minutes de Lyon, 40 minutes de Saint-Étienne ». Sous-entendu : en voiture. Cette dépendance à l’automobile habituelle en région rurale, qui a été pointée lors des premiers ateliers organisés dans le cadre de SMOTIES, a entraîné une enquête de terrain, puis la mise en place de nouveaux dispositifs. Depuis la Cité du design, nous nous sommes rendus à La Terrasse-sur-Dorlay, dans le parc naturel du Pilat, pour visiter l’exposition des étudiants de l'Esadse Territoires et savoir-faire textiles : sans voiture, suivant l’invitation à tenter un autre mode de déplacement.

Voyage en Dorlay – recherche d’alternative

École de La Terrasse-sur-Dorlay, où sont exposés une partie des travaux textiles des étudiants de l'Esadse © Coline Vernay
Etudiantes lors du vernissage à La Terrasse-sur-Dorlay © Coline Vernay

Les designers Monika Olszak et Costanza Matteucci ont été mandatées par la Cité du design et Saint-Étienne Métropole pour mener un projet sur le développement des mobilités douces dans la vallée du Dorlay. Elles ont commencé par un travail d’enquête, découvrant alors que le territoire comptait de nombreuses initiatives : le service de distribution de produits locaux du Chapi, le taxi solidaire porté par des bénévoles, l’autopartage (certains ménages partagent une seule voiture, le parc du Pilat soutient ces actions et propose des assurances spécifiques…1), la plateforme Mov’ici pour le covoiturage, etc.
« Les problèmes rencontrés étaient la visibilité de ces actions, les habitants ne savaient pas comment communiquer, agrandir la communauté des personnes investies dans ces actions-là... », explique Monika Olszak. « En partant de ce constat, comment créer une communauté autour de ces actions de mobilité douce, comment motiver les gens à continuer leurs pratiques ? Nous avons réfléchi à ces questions ainsi qu'aux moyens et outils pour amplifier cette dynamique. ».

Costanza Matteucci et Monika Olszak
 Atelier Mobilité © Costanza Matteucci et Monika Olszak

La méthodologie design :

Le travail (toujours en cours) s’est déroulé en 3 phases. La première étape a pris la forme d’ateliers avec les habitants intéressés par les questions de mobilité. Elle a permis de créer du lien et d'être à l'écoute des besoins exprimés. « Quand on prépare les ateliers, on s’imagine un certain scénario, mais on une peut pas anticiper les réponses et les réactions du public, il faut être très souple, s’adapter, être beaucoup à l’écoute. C’est un travail relationnel, très fort », témoigne Monika.

La seconde étape consistait en des réunions permettant de faire des retours sur les ateliers, avec des discussions libres, des échanges. Les designers apportaient des propositions, discutées en groupe. « C’était un travail étape par étape en concertation et collaboration étroite avec les habitants, on essayait de leur laisser le plus de place possible, de ne rien imposer ». 

Actuellement, Costanza et Monika se plongent dans la phase créative : elles proposent des supports graphiques de médiation et de communication autour de la mobilité douce et le patrimoine textile de la vallée, avec notamment une carte « sensible » de la vallée qui est le fruit du travail collaboratif avec les habitants. L’objectif de cette carte est de partager avec le plus grand nombre, habitants de la vallée et visiteurs occasionnels, des « trajets astuces » accompagnés des descriptifs sensibles et vécus qu'on ne retrouve pas sur des cartes classiques.

 © Costanza Matteucci et Monika Olszak
 © Costanza Matteucci et Monika Olszak

En mode reportage : retours d'expérience

Se déplacer autrement : test du parcours bus + marche à pied (depuis Saint-Étienne).
Si la ligne de train de « la Galoche » a été en fonction moins de 30 ans (de 1905 à 19312), elle a marqué le paysage et la mémoire. Comme nous testions l’itinéraire avant la dernière phase du projet, qui inclut le développement d'une signalétique, nous avons dû demander notre chemin. Notre indicatrice nous a spontanément informées : « C’est ce qu’on appelle la Galoche ! » , avant de nous ouvrir la voie. En attendant la mise en place de la signalétique, voici nos indices pour rejoindre La Terrasse-sur-Dorlay depuis l'arrêt de bus La Bachasse (Saint-Paul-en-Jarez) : face à l’ancienne Envie, s'orienter vers la gauche, descendre jusqu’à rencontrer le chemin de la Galoche.

Se déplacer autrement : test du parcours train + vélo (depuis Lyon).
Notre camarade Laurent a quant à lui choisi une option plus sportive : le vélo depuis la gare de Rive-de-Gier. Sans assistance électrique, mais avec un goût certain pour la pratique du vélo, il a apprécié le trajet qui aura duré moins de 2 heures pour arriver à La Terrasse-sur-Dorlay. Le même chemin, sans les détours par Farnay et dans la campagne qui ont rallongé volontairement le trajet, a été testé par Costanza et Monika en 1h.

Accessibilité
Les modes de déplacement que nous avons choisis permettent aussi à des personnes n’ayant pas de véhicule d’accéder à la vallée du Dorlay. Les personnes à mobilité réduite ne sont pas oubliées par Costanza et Monika, qui nous expliquent : « Nous avons centré nos recherches sur les trajets quotidiens, les façons de rejoindre les grandes villes pour les personnes qui ne sont pas motorisées (personnes âgées, les jeunes…) ».


Changer nos critères, questionner notre rapport au temps et aux distances

La voie verte de « la Galoche » © Coline Vernay
Arrivée à pied à La Terrasse-sur-Dorlay © Coline Vernay
Chemin d'accès à La Terrasse-sur-Dorlay © Coline Vernay
Arrivée en vélo à La Terrasse-sur-Dorlay © Coline Vernay

Si le trajet par la ligne 5 depuis le square Violette (Saint-Étienne) jusqu’à La Bachasse demande plus de temps (30 min de bus et 1h30 à pied  jusqu'à La Terrasse-sur-Dorlay au lieu de 40 minutes en automobile), et qu’il paraît difficile de l’intégrer à un emploi du temps quotidien rythmé par des contraintes horaires (travail, école…), le choix de l’effectuer sans voiture permet un autre rapport au temps et à la distance. Paradoxalement, pouvoir « venir à pied » facilement donne une réelle impression de proximité. À la fin du chemin, nous étions étonnés d’être déjà arrivés, avons changé notre perception de La Terrasse-sur-Dorlay, qui nous est apparue comme toute proche de notre lieu de vie (Saint-Étienne). Des chercheurs, comme Jean-Marc Josset et Alain Rallet, se penchent sur « les formes plus complexes de perception du temps de transport ». Dans un article de 2017, ils observent : « La priorité donnée aux infrastructures à grande vitesse a conduit à négliger les autres modes (trains régionaux, pistes cyclables, marche, etc.), à privilégier des modes d’accessibilité éloignée et à favoriser une organisation de l’espace aux coûts environnementaux élevés ». Ils expliquent que l’on a tendance à se focaliser sur la question du temps de transport, à chercher à gagner en vitesse, mais qu’il est absurde de poursuivre dans cette voix lorsque l’on remarque que les distances s’allongent, que « les budgets temps des individus se sont révélés remarquablement constants ».3 Ces deux auteurs ont pour objectif de « déplacer l’évaluation des déplacements de critères objectifs et homogénéisés comme le temps vers la prise en compte des perceptions subjectives du déplacement, i.e. ce que ressentent les individus comme « bien-être », positif ou négatif, lors de leurs déplacements ».

IdéesUne autre approche de l’automobileChoisir l’essentiel : quand le design déconstruit l’objet emblématique de la mobilité

Le point commun des projets du programme européen SMOTIES, qui implique 10 pays, est leur localisation qualifiée de « périphérique », « éloignée », « reculée ». On comprend que l’origine du projet vient d’un regard extérieur porté sur ces territoires. Mais par l’intégration au long cours de designers « extérieurs » et les moyens mis en œuvre, la Vallée du Dorlay retourne ce regard, s’attaque directement à cette question de la distance et de la vitesse, la décalant et se réappropriant le point de vue.

3 Ceci rappelle également les observations d’Ivan Illich dans « Energie et Equité » en 1975, dont l’argumentaire sur la « vitesse généralisée » est trop daté selon Frédéric Hérant, qui cherche un autre angle pour critiquer la vitesse. https://books.openedition.org/pur/50874?lang=fr
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