Morgane Rousseau

Petits, grands, beaux, rigides, simples, nombreux sont les adjectifs qui qualifient les fragments. Issu de la récolte, mon travail se déploie à travers leurs réassemblages. En les considérant comme des matériaux, je requestionne leurs formes, leurs utilisations à travers des usages et des gestes autour de la table. Durant un repas, une chorégraphie se créer avec de nombreux gestes répétitifs orchestrés par les manipulations des objets. Ici, la production est guidée par un protocole en 7 étapes allant de la photographie, à l’archivage, au dessin, à la mise en place, aux détails, aux assemblages ainsi qu’aux restes. 

L’archivage est une partie qui guide tout le processus. Chaque fragment possède une fiche descriptive (photos, dessins, côtes, caractéristiques…) inspirée des fouilles archéologiques. 

À la manière d’un chef cuisinier, je choisis dans cet archivage des morceaux. Un par un, ils sont reponcés, repolis afin de composer dans le détail. En les réunissant, ce sont les fragments choisis qui vont influencer les usages des compositions. Chaque objet est un outil, pensé à l’échelle de la main, revoyant la manière de piquer, saisir, attraper et servir. Mis en scène sur une table longue inspirée des banquets, ils sont présentés avec leurs tests, leurs illustrations ainsi que leurs fiches détaillées, constituées des différents éléments qui les composent. En ayant des gestes réinventés, j’ai créé mon langage de mouvements et conçois une jonction commune en hêtre. Ce bois est également issu d’une récolte, de chutes, toujours dans un sourçage ciblé. 

En travaillant sur l’articulation entre chaque morceau, on parle d’un léger vide. Il fait référence au « et », la conjonction de coordination qui me permet de créer mon langage. De la même manière que des poètes comme Ilse Garnier (1927-2020), qui travaille la poésie spatiale, je compose avec le vide entre chacun : entre chaque mot, il existe un espace, entre chaque lettre, un encore plus fin. Cette légère limite laisse à imaginer ce qui peut s’y trouver, et comment confronter deux matières, liants et assemblages. Chaque fragment est une lettre, un assemblage est un mot, et ensemble ils représentent une phrase. 

Ce projet et sa scénographie sont réfléchis de manière circulaire, visant à montrer ce qu’il reste pour une utilisation future. 
Créer avec l’existant est possible. 


© Photographies par Pierre Grasset