La grossesse, c’est un phénomène entouré de nombreuses croyances, de symbolismes forts et d’injonctions sociales. Le suivi médical académique rythme cette période, avec des examens et des contrôles réguliers, parfois froids et souvent impersonnels, comme des échographies, des mesures de la santé du corps et de celle du fœtus. C’est devenu une véritable ritualisation de ces mois de transitions, qui je pense ne laisse pas assez place au rôle de protagoniste que pourrait prendre la femme enceinte face à son enfantement. J'ai souhaité m'inscrire dans le cadre domestique et intime dans la conception de mes objets, car je voulais m'éloigner de l'environnement hospitalier ou médical habituellement extérieur au “chez soi”. L’idée de créer un nid agréable, sain et en accord avec leur propre rythme qui se diffère du rythme quotidien habituel, m’a poussé à imaginer des pièces intimes, de l’ameublement domestique aux accessoires personnels.
Le cabinet est un objet repère et témoin. Inspiré du concept de cabinet de curiosité et de meuble à secret, il est un dispositif de collecte, pensé pour accueillir des éléments du quotidien des femmes enceinte, afin de marquer les étapes de transition. Il est dessiné comme un corps qui accueille des curiosités, pour agir comme un journal intime, qui capture par sa contenance l'essence d'un quotidien. Par sa construction verticale totémique,il fait écho aux recherches sur la fonction rituelle et symbolique des objets d'Ettore Sottsass.
Lorsque le corps se transforme drastiquement en quelques mois, comment prendre conscience de ses nouvelles formes ? La chaîne de ventre est un bijou qui se compose et grandit au rythme du ventre enceint. Cette parure est une mesure intime de l'évolution du corps lors de la grossesse. Les bijoux ont culturellement des vertus de protection et de mise en valeur de la beauté ou du statut de la personne qui en porte. Sur cette chaine, il y a une partie destinée pour se placer à l’arrière, dans le dos, et des modules plus spéciaux, qui se situent sur le ventre, auxquelles j’ai ajouté des pierres. J’ai choisi le lapis-lazuli, et la turquoise, qui selon la lithothérapie favorisent l'expression de soi et la protection, créant des paysages en harmonie avec le laiton. Autrefois traditionnellement dissimulé sous de larges robes, le corps des femmes enceintes est aujourd'hui davantage exposé, notamment grâce à des icônes célèbres de la pop culture.
En contraste avec l'instrumentalisation du corps des rendez-vous gynécologiques et de l’accouchement, où les positions sont souvent dictées pour le confort et l’efficacité du praticien et non de la parturiente, j’ai souhaité concevoir des coussins qui se déploient. Ils sont aussi une recherche expérimentale sur les effets olfactifs des plantes médicinales, j'ai ici travaillé avec de la lavande, de la camomille, et du laurier. Des poches intégrées aux coussins permettent de glisser ces plantes adaptées aux besoinsde repos et de détente des femmes enceintes.
D’après Jonathan, un sage-femme stéphanois, les femmes enceintes ont une vie onirique plus riche, où les rêves, les sentiments et les émotions sont augmentés. Dans un contexte domestique, propice au repli,l’espace d'intérieur laisse place à la divagation vers divers imaginaires. J’ai conçu un paravent, destiné à créer une paroi au sein d’une pièce. Ce paravent,en plus de structurer l’espace, devient un élément de décor. J’ai choisi de travailler le papier car c'est un matériau fin et léger, je ne voulais pas que ce paravent ressemble à un mur ou à une cloison, mais à une paroi modulaire que l’on peut aménager et orienter selon les circulations dans la pièce. Je me suis tournée vers Procédé Chénel et leurs savoir-faire, pour la production de l’impression, du rainage et de la découpe du papier. Une atmosphère tamisée aide à éteindre le cerveau rationnel et à stimuler l’ocytocine, l’hormone de l’amour, ce qui est très bénéfique en particulier en fin de grossesse avant l’accouchement. Les pans de papier filtrent la lumière. Le but est de ne pas être réveillée par le monde extérieur, c’est une invitation à la rêverie et à la contemplation.
J’ai souhaité aborder le bien être intime pour la femme enceinte en imaginant une série d’objets de plaisir, de musculation et de rééducation. Les changements corporels et mentaux lors de la grossesse influent sur la sexualité, la rendant parfois agréable, parfois non, il n’y a aucune norme. J’ai choisi de développer des objets que la mère peut utiliser de manière indépendante. Je me suis rendu compte de la capacité d’élaboration de formes sensuelles, non moulée mais modelées chacune artisanalement, en travaillant le cristal. Le renforcement de l’anatomie intime féminine prépare à l’accouchement sur de nombreux aspects. Ces objets intimes offrent une indépendance vis-à-vis des touchers et des examens effectués par des personnes extérieures lors des rendez-vous médicaux. En enlevant les vibrations et les mécanismes, elles créent un environnement de silence et de concentration, ce qui favorise les gestes manuels et les sensations.
Les couleurs dans ces pièces ont une place importante dans mon projet. La brillance, le reflet et le dégradé évoquent les transformations dynamiques de la grossesse. À l’inverse d’un milieu aseptisé, froid et manquant d’individualité, j’ai décidé de me plonger dans un univers de couleur vives associées aux émotions et aux sensations, à l’onirisme et à la rêverie.
À travers les rencontres, les entretiens et les discussions,j’ai constaté que dans le suivi de grossesse tout est codifié, contrôlé, mécanisé. J’ai souhaité contrebalancer par des propositions qui font relativiser, qui sortent du champ de la pathologie en racontant l’histoire du parcours de la grossesse. Ces objets appropriables créent une atmosphère et une ambiance qui reflètent le calme, les joies, les tristesses, et les excitations des étapes de la grossesse, un parcours marqué par de grandes transformations extérieures et intérieures, visibles et invisibles. Ces objets font corps (oudécor) avec les utilisatrices, ils deviennent des témoins et des souvenirs après la naissance, mais leurs usages, leurs fonctions, et leur symbolique continuent d’exister.
© Photographies par Pierre Grasset