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Lilou Gaxieu

Ils plagent, plageont !

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Son appropriation n’est pas innée, elle possède une histoire propre. C’est avant tout un seuil, entre deux éléments : le sable et la mer. Mais aussi entre deux mondes, deux cultures, deux peuples, deux habitats… Elle représente ainsi une zone de transition. Elle est était la fois une arrivée et un départ, mais en aucun cas un endroit où l’on s’établit. 

Le premier usage attribué à la plage est médical. Les premiers baigneurs sont donc des patients à qui on prescrit des bains de mer. C’est donc parce que l’on y est forcé, que l’on va sur la plage, car la mer fait peur. La plage pour le plaisir apparaît plus tard, avec l’essor des stations thermales. De grands architectes façonnent des villes autour des plages où les villégiateurs viendraient prendre du bon temps. À partir de la fin du 19e siècle, la plage devient l’endroit où les gens veulent se retrouver chaque année pour danser, rire, zieuter, parier de l’argent, et prendre soin desoi. Au fil des époques et des migrations le sable est devenu un endroit désirable où l’on exhibe, ses traditions, ses coutumes, mais aussi ses actualités, ses opinions… Chaque population y a introduit ses habitudes de vie: manger, dormir, lire, discuter, contempler. Sur un même espace tout le mondese côtoient, se voit et se « produit ». Ainsi, la plage devient unmicrocosme anthropologique, une annexe de la société qui réunit et mélange lesâges, les niveaux sociaux-économiques, les convictions politiques, les sensibilités intellectuelles… 

Cette effervescence, j’ai d’abord voulu la représenter sur une fresque murale. Il s’agit d’un grand photomontage qui regroupe des microscénette grotesques imbriquées les unes dans les autres. Chaque coup d’œil permet de découvrir de nouveaux détails. Tout se passe en même temps sur un même espace ; ici en l’occurrence le sable : cette bande panoramique à 180° du théâtre de la société (expression de jean Didier urbain) qui siège face à nous comme si l’on été positionné dans l’eau. Les images choisies ont des sources variées et des qualités hétérogènes (magazine, films, articles, reportages, banque d’image libre de droit, photographies personnelles….). Elles s’organisent verticalement et horizontalement puisqu’on suit la chronologie d’une journée à la plage. Les silhouettes répètent un scénario unique, qui chaque jour recommence. Ces personnages, provenant à l’origine de plages différentes, sont réunis sur une représentation commune que j’ai imaginé. Comme des poupée de papier épinglées, elles forment une narration récurrente, ou se développent des gestes et des attitudes reconnaissables : les nageurs sauveteurs qui surveillent, ceux qui bronzent, les enfants qui courent autour des serviettes ou font des châteaux de sable, les pique-niques au coucher desoleil…
Je montre ici l’image que donne un miroir déformant de cet espace de villégiature par excellence. Mettant en exergue les normes invisibles qui se sont construites par habitude au fil des époques. 
 
De cet établi gigantesque, presque inépuisable, naissent 14 personnages emblématiques aux exercices routiniers. Ils existent sous la forme de patchworks textiles suspendus qui sont finalement une sélection non-exhaustives de figures et de comportements archétypaux qui se répètent et ne se discutent plus. Ils prennent valeur de spécimen (unité qui donne valeur à un tout), de modèles qui rendent ironique voir parodique les souvenances de celui qui les regarde.
On retrouve le gonfleur, la mamie, le vendeur de chouchou par exemple. J’ai choisi de les rendre ordinaires pour qu’on puisse s’y identifier, mais en gardant les détails spécifiques distinctifs.
J’ai utilisé du tissu, car c’est un médium extrêmement présent à la plage. Tous les textiles du sable font signe, ce sont des indices pour reconnaître à quelle « catégorie » de modèle l’individu qui les porte appartient. 
Ici, je souhaite faire comprendre que l’observateur extérieur qui juge et analyse la plage de loin est le même que celui qui participe à sa mise en scène. Presque inconsciemment, chacun sait comment agir dans ce milieu, car les rôles attendus sont naturels et spontanés. Nous savons reproduire les rituels observés depuis la jetée. Ainsi la frontière entre celui qui voit et celui qui fait, s’efface en traversant la barrière du sable. Chaque personnage devient alors acteur de la scène qu’il vient de décrire. Il reproduit les gestes qui, sortis de ce contexte sont ridicules. Mais qui ici font sens.
Ainsi, un paradoxe se construit alors autour de la plage puisque celle-ci représente à la fois un espace de liberté absolu, de détente où tout est acceptable et où tout le monde est au même niveau. Or, ce flou global est contrasté par un entre-soi généralisé ; il s’agit d’un lieu oùchacun se reconnaît (les nationalités en fonctions des accents, les habitués, les touristes…). Et même si la plage efface les différences individuelles ; il n’enlève en rien les distinctions entre les groupes qui s’organisent séparément, mais sont repérables à travers leurs activités et leurs cérémonies semblables. Les coureurs du matin, les seniors toujours assis, les familles qui s’étalent, ceux qui font semblant de dormir… Chacun intègre son groupe et s’attelle à se faire voir ainsi.
 
Ces patchworks sont accompagnés d’un travail d’écriture qui décrit chacune des figures archétypales de manière poétique. Ces textes, pleinde jeux de mots et de sous-entendus agissent comme un jeu de devinette permettant de se faire une image de ceux dont on parle, d’abord sans voir lespersonnages puis en les découvrant et en essayant de les associer à leur textede référence. On retrouve la totalité de ces énoncés métaphoriques dans uneédition intitulée « ils plagent, plageont », sorte d’imagier onirique racontant des anecdotes farfelues ou des énigmes ritualisées et invariables que l’on a envie d’écouter. On y trouve aussi des dessins aux feutres représentant des items iconiques, comme des emblèmes, des signes compris directement qui aideront au déchiffrage et à l’identification des différents personnages. À travers cette édition, je souhaitais évoquer des souvenirs ou faire raisonner des séquences évidentes vécues et/ou observées chez le lecteur qui lui donneront envie d’aller ou de retourner à la plage. Certaines phrases issues de ce travail textuel sont gravées sur des serviettes-éponges qui reposent comme sur une rambarde à côté de chaque tenture textile. C’est un peu comme si le temps passé posées ici au soleil avait ancré, brulé en elle des inscriptions indélébiles. Comme les époques et les mœurs ont ancré des habitudes sur les plages. 
 

Instagram: @lilou_gaxieu 


© Photographies par Pierre Grasset

Lilou Gaxieu, DNSEP Design mention Graphisme et Image, 2024
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