Du poids de l’âme à la poignée d’une théière en fonte ; que l’on saisit le manche en frêne d’un marteau, ou que son absence se fait sentir face à l’immatérialité, le poids s’écoule, véhicule un imaginaire commun, et participe à une accroche tactile du monde. L’on peut projeter dans le poids l’extrême du tangible, une valeur fiable, sensible et familière de notre réalité terrestre. L’on peut y voir ce qui donne de la valeur aux choses, ce qui dans une pratique du design me paraît essentielle à évaluer, mais surtout à nuancer.
Mon travail consiste à échantillonner avec précaution, étudier les processus d’alourdissement plus ou moins évident, à dégrossir des dessins dérivés à partir des images de la pesanteur, et à travailler leur traduction avec autrui, pour cristalliser un imaginaire terrestre du poids, sa présence dans l’objet. Par tâtonnement, le mobile manipulable est exploré. C’est un objet lisière à la fonction questionnable, et comme nombre d’objets construits selon les règles de la gravité, il comprend dans son dessin sa chute. J’y corrèle la figure de l’arbre, la valeur des choses, le mouvement lent et la saisie de l’attention. L’ensemble est restitué dans une installation qui produit une atmosphère, que l’on amorce du bout des doigts. Il n’y est pas question d’avoir une approche solutionniste, ni de tendre vers une démonstration équilibriste, mais une lecture sensorielle de l’objet. Créer une présence bienveillante qu'on va regarder d'un oeil distrait, et peut-être délier les noyaux de notre lourdeur.
À travers le mobile sont communiquées des informations non explicites. Entre autres, des opérations manuelles ciblées qui transforment la matière, déplacent les valeurs que l’on porte sur les choses ; tandis que des opérations de finitions non appliquées dans un but seul de séduction, sont pensées pour orienter le regard, et troubler les capacités de discernement de la vue.
Noirci et reconnaissable plus par association d’éléments, que par observation, un cylindre pas complètement cylindre, récupéré pour être écorcé, puis moulé. Une branche d’un arbre déconsidéré, le platane, ramassée par terre, taillée et presque inutilement facettée, scintille en impesanteur sur un diamètre familier, perturbée par le tronc. Une tige de chantier croule, pliée par des feuilles, symboles de légèreté, soigneusement choisies, alourdies dans une pétrification coulée par échecs répétés, polies sur leur verso. L’aubier, souvent déprécié dans le travail du bois, ré-assemblé en motif dans un leste. Le détournement en bois d’un objet industriel technique, suspendu, qui éclaire. Choisi comme représentant d’une logique de réduction moralisatrice, où l’ajout d’éléments superflus et maladroits sont proscrits dans le design industriel, selon ce qu’on appelle « le bon sens ». Les modules d’éclairages sont obscurcis, là où l’élément poids mis en valeur par le geste manuel ne l’est pas. Puis, des supports photos, en placage de platane évidé, où flotte un arbre qui fend une pierre, suspendu par une corde à piano qui bat des ailes lorsqu’on tire délicatement dessus.
© Photographies par Pierre Grasset