Avant tout, Luthiopia
est à la fois fini, à la fois en cours.
Aboutissement d’une
réflexion qui puise dans un cursus ingénieur d’abord puis dans les cinq ans
passés à l’ESADSE, l’enjeu était de convoquer ici différentes disciplines déjà
expérimentées afin de les unir. Ce projet témoigne en cela d’une affection particulière
pour les mathématiques, la musique ainsi que la lutherie.
Luthiopia est une pièce
pour ensemble non-exhaustif mais sensible. Il est entendu par là qu’elle puisse
exister dans d’autres combinaisons que celle proposée, avec des instruments
supplémentaires (ou en moins), et pour l’instant un opérateur humain, que nous
qualifierons « d’explorateur ».
En effet, il s’agit d’une
installation, d’une performance, mais surtout de la genèse d’une famille
d’instruments à venir. Le mot instrument est sélectionné ici pour son
étymologie estrument, qui par évolution historique revient à une
« personne ou chose qui sert à parvenir à quelque fin ». Évidemment,
le distinguo entre instrument de musique et/ou de mesure n’est pas fait ni à
faire.
Dans le cadre du DNSEP,
les trois premiers-nés de Luthiopia ont pris place dans une scénographie proche
d’un live musical : semi-obscurité, projecteurs tamisés.
Cycloptic, l’aîné,
récupère la lumière traversant son disque en rotation (interchangeable) pour
synthétiser trois notes choisies arbitrairement, mais génère également trois
effets audio (delay, reverb et pan) renvoyés vers lui-même (il est donc sa
propre pédale d’effet). Les disques renvoient également à l’idée de partition,
dont on essaiera de s’extraire via une liberté graphique dans leur dessin.
Wavalance, le cadet,
reçoit un accord de l’explorateur (première interaction) qui contrôle sa
vitesse de balancement. Cette dernière entraînera le tambour océan à son sommet
pour créer une texture sonore (non amplifiée) rappelant celle des vagues
maritimes. En outre, l’amplitude de l’angle créé agit sur les hautes fréquences
de Cycloptic (deuxième interaction).
Cellostep, le benjamin,
fonctionne comme un simple séquenceur ; plusieurs modules de bois sont disposés
sur le manche de façon à ce que le laser situé au-dessus capte les différentes
hauteurs lors de ses aller-retours linéaires. Les sons renvoyés, choisis
arbitrairement aussi, sont une base rythmique dans la composition proposée
(percussions, kick, snare, etc.). Enfin, le son de Cellostep agit également
comme un compresseur sur le master, soit sur l’ensemble du son créé
numériquement (troisième interaction).
L’explorateur, d’une
part, fonctionne et agit comme un quatrième joueur dans le groupe. Il n’est ni
au centre, ni dans l’ombre ou en régie, mais sur un pied d’égalité avec les
trois instruments (symboliquement et littéralement dans la scénographie). Ici,
le jeu se fait à la fois au clavier MIDI et à la basse électrique. D’autre
part, il a une responsabilité didactique quant à la démonstration, dans le but
d’aider autrui à comprendre, donc entendre, cet échange sonore vivant.
Il y a volonté de
questionner le positionnement de l’explorateur sonore (ou du musicien) dans
cette composition interactive, ainsi que de guider ces instruments vers une
semi-indépendance. Interactions spontanées qui peuvent échapper au contrôle,
tendant parfois vers l’imprévu hasardeux, voilà une composante aussi humaine
que récurrente lorsque l’on pratique la musique à plusieurs.
Après tout, Luthiopia
est à la fois en cours, à la fois un fini.
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© Fabrice Roure