L’air est une énergie qui dessine notre monde. Il dessine le ciel et les nuages, mais aussi les montagnes, et les sols de notre planète. Il est un mouvement, une agitation une vibration qui pousse, soulève, arrache, bouscule, abrase, emporte, déplace... C’est un agent toujours actif, mais discret, car impalpable, sans forme, odeur, couleur, ni goût, qu’on confond souvent avec « le vide ». Et pourtant, il n’est pas invisible mais plutôt « invu ». J’emprunte cette notion « d’invu » à Jean-Luc Marion, un philosophe français qui dans son ouvrage La croisée du visible traite de notre sens de la vue. Selon Marion, l’invu relève de l’invisible, mais n’est pas condamné à rester inaperçu, car il est capable de le transgresser pour justement apparaître. Dans le cas de l’air, cette transgression s’opère en collaboration avec une autre matière. Il peut s’agir de l’eau qui, sous forme de vagues ou de vapeur, matérialise les flux, ou bien des roches, qui à une autre échelle temporelle subissent des transformation d’oxydation, ou d’abrasion. Ces autres matières lui permettent de rentrer dans la sphère de visible, lui donnent corps.
Les vestiges aériens est un travail de recherche dans lequel je met en place plusieurs systèmes de collaboration entre l’air : une force créatrice et une matière : qui matérialise des flux et moi même qui initie ces échanges. Le matière à laquelle je fais appel est la porcelaine, une terre extrêmement sensible, qui porte en elle une mémoire de forme, autrement dit, qui enregistre les moindres mouvements. Le taux d’humidité de cette matière élastique et visqueuse donne naissance à une gamme de consistances de la poudre, jusqu’au solide en passant par le liquide. Ces différents états de matière deviennent des supports de médiation qui matérialisent des flux d’air. L’air est mis en mouvement à travers plusieurs outils qui amplifient ses caractéristiques, comme des paille, des sèches cheveux, des ventilateurs et enfin un compresseur d’air accompagné des soufflettes et d’une sableuse. Le souffle va sculpter la matière avec sa puissance, sa direction, sa distance ou son rythme.
Dans le travail de la céramique, l’air est souvent considéré comme un élément perturbateur, qui dérange, déforme, fissure, et donc qu’il faut maîtriser. L’expérience que je mène explore au contraire ses capacités créatrices. Les interactions entre l’air et la céramique inspirent 8 procédés de travail que je nomme phénomènes. Ils interprètent des techniques de mise en forme traditionnelles (impression 3D, moulage, estampage, travail sur plaque, tournage...) de façon à ouvrir un champs des possibles à l’air. Cet élément dévient désormais l’énergie créatrice des formes.
Le projet de diplôme a été présenté sous forme d’un atelier d’analyse des pièces, composé d’un espace de classification et d’un espace d’étude macroscopique des effets obtenus. Un laboratoire dont le rôle a été de démontrer les multiples possibilités d’action de l’air sur des états de matière divers (liquide, solide, dégourdi, formes pleines, surfaces...). Ce travail questionne la notion d’accident et d’imprévu dans des pratiques de production en série et invite à réfléchir sur notre collaboration avec des éléments naturels.
Photos © Sandrine Binoux