« Elle était un peu l'histoire de la Terre, de la mer et
des hommes »
— M’hamed Hassine Fantar, Voyage voyages, 2020
Depuis deux terres portuaires chargées d'histoire(s)
et sur cette mer Méditerranée qui était comme le centre du monde, je
retranscris la traversée entre Marseille et Tunis à travers une série d’objets
symboliques, porteurs de mes origines familiales et de ma double culture.
Le point de départ se situe dans la confection d’un
tour à plâtre qui me permet d’expérimenter, de dessiner d'une autre manière et
de réaliser rapidement en volume différentes maquettes puis des premiers
prototypes en céramique et en bois avec l’essence de châtaignier qui pousse
dans le sud de la France et le nord de l'Afrique.
Une histoire sensible et singulière se raconte alors
à travers :
- Les roches. Il y a celle qui dissimule,
celle qui surélève ou encore celle qui accueille comme la grotte. Chacune de
ces roches constitue un support libre et autonome. Lorsqu’elles s’agglomèrent
ensemble, elles évoquent les reliefs d’un paysage qui s’achève en plongeant
dans la mer.
- Les outils. On retrouve ici un porte-encens,
une bouteille d’huile d’olive, un pilon, une jarre ou encore une couscoussière.
Leur usage dans la vie quotidienne raconte un fragment de l’histoire symbolique
des produits par le biais des échanges commerciaux et culturels, d’idées et de
croyances.
- Le mobilier. Une table et ses tabourets
permettent de s’asseoir pour discuter, se réunir pour partager un repas. Cet
objet manifeste d’hospitalité qui rassemble, autant socialement que
culturellement, permet de développer les échanges et l’histoire commune entre
les deux rives de Marseille et de Tunis.
C’est en les
faisant se rencontrer dans un même dispositif, que les liens entre eux se
dessinent naturellement. Ces trois façons de raconter mon expérience du
territoire s'accordent entre elles, et montrent le passage d’une production
commune influencée par l’artisanat et le paysage Méditerranéen. Elles révèlent
l'atmosphère de toutes ces traversées réalisées entre ces deux ports, et sont
le résultat de celles-ci.
Ce dispositif de
monstration est voué à être franchi, car les outils ont leur propre qualité.
Par leurs poids ou leurs tailles différentes. Ils ne seront pas maniés avec la
même délicatesse, qui est de même pour ce qu'ils contiennent, tandis que l’un
garde les cendres d’un encens, une autre conserve toujours des olives dans son
bain de sel.
C’est pour cela
qu’ils se retrouvent dans cet espace afin que l’on puisse les observer, les
toucher et apprécier leurs traces d’usure.
Pour les roches
et le mobilier, une fois ceux-ci réunis, on peut constater que leur usage n’est
pas voué à la manipulation, non seulement à cause de leur fragilité mais
également à cause de leur poids. Leur
vocation est certes de l’ordre de l’usage mais représente aussi le fantasme de
l’horizon.
On y décèle donc
les différents aspects de la traversée, physique, mais également celle de la
production. Par conséquent, sortir le tour à plâtre de l’atelier et le placer
dans un contexte où il n’est pas voué à être utilisé, le représente en tant que
témoin d’une étape de production.
La Méditerranée est un mythe, une fiction qui cache
une nuée de particularismes, de langues, de récits, d’histoires écrites, orales
et recomposées. Mare Nostrum ne
raconte pas une histoire personnelle mais cherche plutôt à interpréter ce
territoire et cette masse marine silencieuse à travers des supports de mémoires
collectives intelligibles, vivants et sensibles.
C’est pour cela que la dernière pièce nommée
Phare matérialise une ouverture sur l’ensemble de cette mer, du détroit de
Gibraltar jusqu'aux portes de Beyrouth.
Ce point de lumière a été conçu de manière
sobre. Il se fond dans l’horizon, mais sa lumière est constamment présente, ce
qui permet d’envisager une prochaine étape dans cette traversée.
Photos © S.Binoux