Il y a maintenant un an, j’ai commencé un travail d'enquête sur l’environnement carcéral. Je désirais me rapprocher au maximum de la réalité quotidienne en détention et de ses répercussions sur l’humain. J’étais, et je suis toujours certaine, que l’image qu’on se fait de la prison ne peut être exacte tant que nous n’avons pas été nous-mêmes incarcéré.e.s.
Coups de téléphone, bouche-à-oreille, SMS, e-mail, réseaux sociaux, associations… tous les moyens ont été bons pour entrer en contact avec les personnes concernées, discuter avec eux.elles et obtenir des informations.
Après une longue investigation, j’ai pu recevoir plusieurs plans de ces objets (une canne à pêche, une table, une étagère, un réchaud et un fouet) que j’ai traduits de manière intuitive avec le bagage culturel et technique acquis au long de mes cinq années d’études.
Qu’en est-il de fabriquer des objets à partir de plans faits par des personnes incarcérées ? Qu’en est-il de se réapproprier un savoir-faire qui provient d’un problème sociétal en en faisant des objets destinés à être montrés ?
Face à mes pièces finies, je me suis rendu compte qu’elles comportaient certains codes du design “tendance”. Ma culture artistique m’a amenée à faire des choix et à utiliser une certaine esthétique dans la fabrication de mes pièces (corde d’escalade, des couleurs, du bois, du métal, du plexiglas). Au final elles ne sont pas témoins d’un travail à partir de plans de détenu.e.s, mais simplement le fruit de cette uniformisation de la« création » causée par certaines applications. Les étudiant.e.s se fabriquent leurs propres cultures via ces banques d’images en ligne où l’on voit des designers, poster leurs « moodboard », leur travail. Nous aspirons à la réussite sur les réseaux sociaux en nous disant que c’est ainsi que ça marche.
Après réflexion sur le statut des pièces que j’ai réalisées, j’ai décidé de reprendre les plans que les detenu.e.s m’avaient envoyés et de les exécuter à la lettre (étagère en dentifrice, corbeille et étagère de frigo ficelés ensemble, fouet en cure-dents, réchaud en canettes…). Je me suis alors confronté à une réelle intelligence de fabrication et à une ingéniosité due au manque de moyens d’une personne incarcérée.
En analysant les plans et en travaillant les matières initiales, certains termes ont résonné. Aujourd’hui, on peut entendre dans les manifestations de design “grand public” parler d’économie de moyens, de lignes épurées, d’upcycling. Dans le discours d’un designer on peut lire des mots comme : assemblages élémentaires, ligotage, emboîtement, mais aussi : démultiplier les possibilités formelles.
Deux tubes en PVC sont ligotés par une corde d’escalade et viennent reposer sur une grille de bonde d’évier couleur crème. Le tout forme un vase. Cette pièce est exposée dans plusieurs salons internationaux et influence énormément de jeunes créateurs.rices.
La couleur crème en moins, cette pièce pourrait exister en prison...