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Armatura / Morgane Goblet

A/R Point Break 2020 – Sculpture d’usage, objet performé

PointbreakÀ propos de ce blog

Initié par Emmanuelle Becquemin et Émilie Perotto et porté avec les étudiant·e·s de la Mention ACDC_espaces, L’Atelier de recherche Point Break est ouvert à toutes celles et ceux qui souhaitent prendre au pied de la lettre l’expression Point Break, cet espace où la houle d’une discipline change de direction au contact de la masse d’une autre discipline : la vague se forme alors sur ce point de contact, et donne naissance à une zone particulière où la ou le pratiquant·e expérimente l’extrême limite.


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par Émilie Perotto

Davide Mosconi est un artiste italien aux multiples facettes : photographe, musicien,poète, designer. Il décède à l'âge de 61 ans en 2002. Il a une formation musicale classique du conservatoire Giuseppe Verdi à Milan. Puis il poursuit ses études à Londres dans une école de photographie qui par la suite amènera à la création d’un studio photo appelé “Studio X”. Dans sa pratique la notion d'expérimentation est très présente, notamment dans la musique où il va être à la recherche de productions musicales ayant comme base des matériaux allant des métaux au cristal. Il produit principalement des concerts sur scène où la question environnementale est importante.

Alessandro Mendini est un architecte et un designer italien qui a suivi une formation d’architecte à l'École polytechnique de Milan. Il devient un des membres importants du radicalisme italien. Dans les années 70, Il est aussi le cofondateur de Global Tools et il collabore au studio Alchimia avec d'autres designers italiens. Il va aussi diriger le magazine d'architecture Casabella, et à Domus. Son travail s'inscrit dans une démarche à la fois décorative et critique qui vise à rompre avec le modernisme international. Ses créations sont souvent des critiques joyeuses et colorées des classiques du design ; en particulier au travers de re-design (re-création) d'objets créés par d'autres qu'il transforme et “régénère” en utilisant de nouveaux coloris et matériaux.

Armatura per violino e violonista” (armure pour violon et violoniste) fait partie d’une performance créée par Davide Mosconi en 1974-76, et s’appelle “QUARTETTO”. Pour effectuer cette œuvre, six interprètes sont nécessaires : un harpiste, un violoniste, un pianiste, un accordéoniste, un musicien qui jouera les réglages pour le piano et un “assistant” qui jouera du ruban adhésif. Le système d'amplification se compose d'un mélangeur à six canaux (avec égalisateurs), de deux amplificateurs, de six microphones, quatre ou huit haut-parleurs pour la salle. La représentation de l'œuvre “QUARTETTO” se déroule dans une salle de spectacle avec une scène, des rideaux. Il y a aussi une représentation simultanée, mais de plus longue durée, dans des lieux ou des pièces séparés et distincts : chaque pièce interprète “QUARTETTO” d’une manière différente et individuelle. La durée de l'ensemble du travail est d'environ 30 à 36 minutes. Chaque instrument est pourvu d’une armure qui l’englobe avec “son” musicien. Ces armures ont été pensées et conçues avec l’aide d’Alessandro Mendini. Sont attribuées à chaque musicien une partition et une performance différentes lors de la représentation. Ces performances mettent les musiciens dans une posture inhabituelle. Au premier plan,
devant la scène, il y a d’abord l’accordéon harmonique, le ruban adhésif et le violoniste, et l’archet violon légèrement plus loin. Au second plan, sur la scène, se trouve la chaise-femme-harpe puis le pianiste-piano.

Maintenant que j’ai décrit l’orchestre dans son ensemble, je vais m’attarder sur chacunes des entitées musicien-instrument :

Pièce pour la chaise-femme-harpe

L’harpiste est enfermé dans un grand pull en laine violette enveloppant complètement l'instrument, le tabouret et l'harpiste dans la posture au moment de jouer. On ne peut apercevoir l’harpiste : il est dans une immobilité la plus absolue. Ce pull est de couleur rose, bleu et blanche tacheté. De l’extérieur le spectateur ne voit pas qu’il y a réellement une harpe ou un harpiste sur scène. Lors de la performance deux microphones de contact sont placés sur la table d'harmonie de l'instrument, l'un dans la zone des aigus et l'autre dans la zone des basses. Les fils doivent aller vers l'arrière de la scène, complètement cachés à la vue du public. Les temps indiqués dans la partition sont approximatifs, l'interprète peut composer sans avoir à être obligé de respecter le chronomètre. L’harpiste doit également jouer une des cordes seulement dans la technique du pincé. Par l’immobilité de l’harpiste et les modifications sonores des micros, l’effet sonore est métallique et piqué. La durée de cette performance est de dix huit minutes.

Pièce pour pianiste-piano

Le pianiste est enfermé dans un conteneur noir pouvant accueillir un pianiste assis sur le clavier. On pourrait croire qu’il y a deux pianos emboîtés face à face. Un haut-parleur est placé face vers le bas, sur le cordier de l'instrument, avec le couvercle du piano fermé. La pédale du fort doit être maintenue enfoncée avec un poids pendant toute la durée de la pièce pour permettre aux cordes de vibrer. Un microphone avec capuchon coupe-vent est placé à l'intérieur de la boîte, à la bouche du pianiste : ce qui permet d’entendre la respiration (qui doit rester normale) du pianiste pendant toute la représentation. Un assistant doit jouer sur la bande son de ses deux micros. Le son produit est plus aérien et dans une atmosphère résonante. On a la sensation que les deux espaces se parlent. La durée de cette performance est de dix minutes.

Pièce pour violoniste et l’archet violon

Le violoniste tient son violon comme s’il allait commencer à jouer. Un casque en tôle d'acier est posé sur ses épaules pouvant accueillir la tête du violoniste, le violon, l’archet.La sculpture est jaune vif légèrement brillante. Elle ressemble à une maison de la période de l’architecture moderne, avec des formes cubiques. Le crin de cheval inséré entre les cordes afin de faire vibrer constamment la deuxième et la troisième corde. Seul le buste et les jambes du violoniste sont visibles. Ainsi, du début à la fin, tout le corps de l'interprète doit être sous tension et dans un état de tremblement continu. Les deux microphones de contact sont placés : un sur le violon et un à l'intérieur de l’armure et les écouteurs doivent être portés au musicien. Pendant la performance le violoniste doit interpréter une courte partition de douze minutes en boucle, et doit intégrer à l’aide de sa main qui tient le manche de son violon, de la percussion de manière aléatoire sur l’armure.

Pièce pour accordéon harmonique et ruban adhésif

L'accordéoniste est assis et joue des trois instruments simultanément tout en étant enveloppé dans du ruban adhésif jusqu'à ce qu'il soit complètement immobilisé. Les rubans adhésifs sont placés à côté de la chaîne avec des outils. Il faut au moins quatre grands rouleaux de ruban adhésif de 5 cm de haut, 100 m de long, blanc ou neutre. Un assistant va jouer le rôle d’enrouler le musicien durant toute la performance. Au début, les deux interprètes entrent ensemble : l’assistant aide à mettre l'accordéon puis l'orgue à bouche et à mettre les pieds dans les sangles du bandonéon de table qui est posé au sol devant la chaise. Le micro est positionné au-dessus de l’accordéoniste pour amplifier le bruit du ruban adhésif et le soufflet accordéon. Les quatre respirations des instruments ne doivent jamais être synchronisés. L’assistant doit porter une attention particulière au déroulement et à l'application du ruban adhésif, afin de ne pas faire étouffer l’accordéoniste. Lorsque le musicien est complètement immobilisé et incapable de produire un son, l’assistant, avec des ciseaux, coupe le ruban adhésif et quitte la scène.Le son alors créé pendant la performance commence de manière très bruyante et oppressante, et au fur et à mesure le son s’essouffle et s’éteint. La durée de cette performance est de vingt à vingt cinq minutes.

Cette performance reflète bien qui dans la globalité le travail de Davide Mosconi, qui est très expérimental, et dont l’enjeu est de créer de la musique atmosphérique. Chaque musicien forme une seule entité avec son instrument : ils ne deviennent qu’un. Mosconi et Mendini modifient la posture du musicien ainsi que sa place, et sa relation avec son instrument. C’est comme s'il devait rentrer à l’intérieur afin de créer une nouvelle espèce, une créature.
Pendant le concert, toutes les salles sont utilisées et englobent le spectateur. Tout au long de la pièce, on ressent une tension dans la musique qui commence de manière assez forte. Au fur et à mesure, l’ensemble s’essouffle à travers les différentes performances des interprètes. On peut dire alors que la performance est une action ou des actions mises en scène par un artiste ou performeur du corps. Cette utilisation de ce corps devient donc l’outil de travail que l’on va mettre à l’épreuve, sous tension et demander un effort physique qui se rapproche des performances demandées lors d’un entraînement ou d’une compétition de sport. Cette comparaison avec le sport est valable aussi dans l’intensité qui est croissante : on démarre par l'entraînement et après l’intensité physique augmente au fur et à mesure. Du fait que les enceintes englobent le spectateur, il est aussi difficile de se situer dans l’espace : où sommes-nous ? C’est aussi une notion que Davide Mosconi apporte dans son travail : perdre le spectateur dans l’espace. L’atmosphère emmène vers un autre univers qu’on peut dire parallèle ou presque extraterrestre. La question du corps est aussi très importante, surtout pour le performer qui est contraint par dans ses mouvements. Non seulement par les objets qui les relient à leur instrument mais aussi dans les indications demandées : rester rigide, sous tension. On pourrait les confondre à des sculptures ou objets et non des musiciens. La performance transforme le corps comme une chose inerte, sans pensée, sans volonté et sans droit, par opposition à l'être humain ou encore une chose solide considérée comme un tout, fabriquée par l'homme et destinée à un certain usage. L'être humain n’existe plus, il ne fait que suivre un protocole ou indication qui décrit son usage qui est ici un instrument. On pourrait le comparer à un automate.

Morgane Goblet

texte en relation avec celui de Catherine Geel publié dans le catalogue Assiégeons ! consultable ici

A/R POINT BREAK ©Aurore Turpinat
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