Miriam, 22 ans, est médiatrice à la Biennale : elle guide des groupes dans les différentes expositions de la Cité du Design. Nous étions curieux d’en savoir plus sur son métier, son parcours, et son expérience de la Biennale…
Qui es-tu et comment es-tu arrivée à la Biennale ?
Je m’appelle Miriam, j’ai 22 ans, je suis allemande. Ça fait presque 2 ans que je suis en France. À 18 ans, j’ai commencé des études de Sciences Humaines interdisciplinaires aux Pays-Bas à Maastricht. Puis, j’ai fait un Erasmus à Science Po Grenoble. J’ai décidé de rester en France pour une année de césure, et je me suis retrouvée à Saint-Étienne pour la Biennale. Je connaissais la structure et comme j’ai des amis étudiants et étudiantes à l’Esadse, lorsque j’ai vu l’offre d’emploi pour la médiation cela m’a intéressé. Dans mes études, il y a un peu d’Histoire de l’Art, et beaucoup de sciences politiques, de philosophie, sociologie, histoire… On fait pas mal d’analyses d’art, mais plus axées sur la place de l’art dans la société, comment cela permet d’aborder certains sujets.
Je m’intéresse à l’art mais pas en tant que créatrice ou artiste, mon intérêt se porte plutôt sur l’effet des créations artistiques au sein des sociétés.
C’est quoi le design pour toi ?
Je dois avouer que lorsque je suis arrivée, j’avais une idée assez floue du design : je pensais à des belles chaises assez chères, difficilement abordables… Maintenant, je peux définir le design comme quelque chose d’utile dans la société. Le designer fait une étude de son public, lui met à disposition des outils pour changer les choses : créer plus de confort… Ça peut être des objets, mais aussi un aménagement de l’espace, un site internet plus ergonomique… En bref, le design, c’est mettre à disposition quelque chose d’utile à un usager.
Comment comprends-tu le thème des « bifurcations » ?
La bifurcation, c’est un changement de direction. Avec le design, cela peut se passer de manière individuelle – des objets peuvent nous amener à faire plus attention à l’environnement, on peut décider de devenir végétarien ou végétarienne… Mais ce que je trouve surtout intéressant, ce sont les bifurcations collectives. Les moments où une société est obligée de changer les choses : avec le covid bien sûr, mais aussi en ce moment nous devons changer nos habitudes pour le climat. Comment peut on changer nos habitudes collectivement, changer la direction ?
Tu as choisi de nous présenter l’exposition Singulier Plurielles, que peux-tu nous en dire ?
Le commissaire de cette exposition est Franck Houndégla, designer et architecte franco-béninois. On voit bien dans l’exposition qu’il travaille dans l’espace public : un grand point est fait sur le design d’espace. Mais cette exposition parle aussi d’architecture, de design graphique, d’agriculture… On voit comment des pratiques existent aujourd’hui dans différents endroits d’Afrique, comment sont affrontés certains changements, quelles méthodologies sont utilisées… Tous les projets présentés sont nés sur le continent africain. Lors de la visite, on voit la façon dont sont conçus les projets, les objets, leur interaction avec le contexte, qui est différent d’ici en Europe : il y a moins de moyens, il faut s’inventer d’une autre manière. Les projets qui naissent dans ces autres contextes sont très intéressants en Europe aussi.
Ton projet chouchou ?
J’en ai pleeeeein (rires). Disons les prothèses, elles sont vraiment cool. On a plusieurs prothèses dans la Biennale, par exemple dans l’exposition voisine Dépliages. J’aime bien passer ensuite voir celles exposées dans Singulier Plurielles, car le fait qu’elles ont été réalisées dans un autre contexte est facilement visible, compréhensible. On est sur d’autres matériaux, une production qui coûte beaucoup moins chère, qui est plus accessible, inventif. La prothèse faite par Mohamed Dhaouafi, imprimée en 3D à partir d’amidon de maïs est géniale : pas très chère, rechargeable avec un chargeur solaire, avec de l’intelligence artificielle dedans… Elle a vraiment révolutionné pour plein de monde l’accès à une prothèse. À côté, il y a celle de John Amanam Sunday - très différente - qui est la première prothèse réalisée avec une peau noire, c’est aussi révolutionnaire. C’est intéressant, car ces deux créateurs ne sont pas des designers. La Biennale ne met pas en avant que des designers, il y a des projets d’ingénieurs, d’artistes… C’est assez mélangé. Je trouve que ces deux prothèses se rapprochent quand même, dans leur démarche, du travail de designer. Les créateurs ont bien observé leur public, leurs besoins, la démarche est similaire, et les produits qui en sont ressortis sont vraiment très cool.
Le chouchou des personnes qui visitent ?
En général, les visiteurs prennent vraiment le temps de regarder cette exposition, même si elle n’est pas forcément très facile, car il y a beaucoup de photos, il faut se pencher dessus. Je vois souvent les visiteurs au pôle Agriculture, et aussi devant la vitrine présentant le projet Marabout 3.0 de Lamyne M. Cet artiste présente des grigris, cherchant à faire un commentaire politique sur la spiritualité, toujours assez importante en Afrique aujourd’hui. Il a rencontré plusieurs guides spirituels, des marabouts… Il leur fait faire des porte-bonheur - qui sont toujours là pour un moment précis dans une vie. Il y en a d’assez drôles, comme ils sont guidés par une idée artistique. On a par exemple des grigris qui rappellent la migration, un contre la covid-19, etc. Esthétiquement, c’est aussi intéressant, c’est là souvent que les visiteurs s’arrêtent : ça pose question : pourquoi a-t-on une clé USB avec un bout de bois ? Ça ne ressemble pas à l’image qu’on peut avoir en Europe des talismans, ils sont gros, on voit que l’artiste a bien mis ces idées dedans, mais c’est quand même un mélange.
Comment vis-tu ton rôle de médiatrice ?
La médiation ce n’est pas parler pendant 1h30 sans s’arrêter comme à l’école. Ce que j’essaie de faire, c’est de rentrer dans le dialogue, et apprendre aussi à travers les différents publics que je peux avoir, qui m'apportent différents points de vue…
C’est un travail très cool, je me fais plaisir. Tous les jours, on rencontre beaucoup de monde. Je peux voir une soixantaine de gens différents : un groupe de personnes âgées, un de 30 enfants, des adolescents… C’est très divers. À travers ces gens, on comprend plus de choses sur les expositions, on rentre dans le dialogue, on leur fait découvrir des choses qu’ils n’ont jamais vues, ou jamais pensé avant, ils sont souvent impressionnés, on entend des « wahou ! ». On arrive vraiment à apporter quelque chose, pas tout le temps évidemment, mais il y a beaucoup de gens qui sont à fond, très contents d’être là, rentrent dans l’échange, posent des questions…
C’est vraiment un plaisir de leur faire plaisir.
Comment inviterais-tu quelqu’un qui ne connait pas l’événement à venir ?
Déjà, je mettrais en avant que le cadre de la Cité du design est vraiment chouette. En plus c’est gratuit pour les moins de 26 ans donc ils ne prennent aucun risque ! Je dirais « Tu peux juste venir faire un tour, plein de choses sont proposées pour tous les âges donc par exemple si tu aimes faire du skate, tu viens voir une expo, faire du skate après, ou boire un verre… C’est un lieu de vie aussi.
Tu peux vraiment faire à ton rythme, voir des expos qui proposent des choses complétement différentes…
Tu peux apprendre plein plein de choses, si tu as envie.
Comment convierais-tu ta grand-mère ?
Je lui dirais que c’est intéressant, des sujets abordés ici la toucheraient. Par exemple, dans Autofiction, une biographie de l’automobile, il y a plein de moments qu’elle a vécus, donc ça serait intéressant d’en discuter avec une personne de mon âge, de voir comment elle l’a vécu elle, de réfléchir à où on en est aujourd’hui, est-ce qu’il faut changer ces idées ? Ça amène vraiment une réflexion, ça s'adresse tout le monde. Dans toutes les expositions, il y a des points de repère reconnaissables par tout le monde. Ça ne parle pas de design incompréhensible, ce sont des projets accessibles à tous, qui résonnent avec l’histoire personnelle de chacun.
Merci Miriam, on se retrouve lors d’une prochaine visite guidée, ou lors de tes permanences « médiation libre » du Happy Samedi !