Le design des images et des objets (et l’utilisation des objets) est toujours la traduction des pensées et des techniques. Les idéologies sociales et politiques deviennent des attitudes à travers des formes et des styles concrets et quotidiens – modélisant nos corps, nos paysages, nos relations. En 2014 et 2015, l’Organisation météorologique mondiale (OMM) a invité des présentateurs météo du monde entier à imaginer un « bulletin météo de l’année 2050 ». Il s’agissait alors de promouvoir la Conférence de Paris sur le changement climatique (COP 21), la Conférence de Sendai sur la réduction des risques de catastrophe, la Conférence de Lima sur le changement climatique (COP 20) et le Sommet des Nations unies sur le climat à New York. Ces artefacts média sont essentiellement identiques : La planète est présentée comme une vue satellite techno-esthétique (postphotographique) — en performant un regard qui place notre corps en dehors du monde. Le système Terre est compris comme un modèle informatique (de prévision météorologique) où les phénomènes naturels (comme la pression, la température, les précipitations, le vent, l’humidité) sont convertis en chiffres, en pictogrammes et en systèmes de couleurs codées — développant la fiction de notre environnement comme un objet externe, calculable et normalisé. La carte météorologique est l’équivalent d’une carte politique — attachée à l’État-nation même si les vents et les particules ne se soucient pas des frontières politiques. Au lieu d’expliquer les relations nature-culture complexes et interconnectées, la culture visuelle actuelle du changement climatique est en outre réduite à des images d’événements météorologiques extrêmes tels que les inondations, les vagues de chaleur, la fonte des glaciers et la sécheresse — mettant en scène le sublime spectacle de l’homme industriel. Cette vision (initialement européenne) du monde pénètre quotidiennement dans nos corps à travers du bulletin météorologique (mainstream).
Si la réalité est post-produite, cela signifie aussi que nous pouvons intervenir dans la réalité avec les techniques d’imagerie. La question n’est peut-être plus “qu’est-ce qui est représenté dans les images ?” ou “comment lisons-nous les images ?” – bien que ces questions restent absolument importantes. Mais en tant que créateurs, producteurs et coproducteurs d’images, d’autres questions se posent : quelles images voulons nous rendre réelles ?
Dès lors que la culture visuelle et matérielle contemporaine construit sa réalité sur les images, celle-ci peut être modifiée par le biais des techniques de post-production1. En partant de l’hypothèse que la Terre a été transformé en installation vidéo, en studio de télévision, en studio de design, New Weather TV appréhende la météo en tant que pratique d’écran qui incruste les idéologies modernes (et donc anthropocènes) dans nos réalités quotidiennes (occidentales) ― des vues globales, des visions « objectives » du monde, des frontières et des images sublimes de catastrophes. Lorsque les images représentent, médiatisent et créent des réalités, nous devons questionner nos images les plus courantes afin de dénaturaliser les normes modernes sans cesse reconduites. Si des designers comme Herbert Bayer ou Ray et Charles Eames ont contribué à réaliser un monde où les images et les sons omniprésents construisent nos subjectivités, nous devons réfléchir de manière critique à nos archives modernes — à propos de la façon dont les récits ont été inventés et à qui, à quoi et à quels outils de production d’images ils sont liés. Comment le chroma key compositing2 – déjà couramment appliquée aux données météorologiques – peut-elle suspendre, déconstruire les visions du monde et, par conséquent, reconfigurer nos relations avec nos environnements ? Quelle est la relation entre le phénomène physique (météo) et son image ? Quelle(s) pensée(s) et technique(s) doivent être éditées afin de former une nouvelle œuvre médiatique SLASH réalité ? Quel temps pour le futur ?
Profondément ancrée dans l’histoire moderne, la fiction de la vision globale – inventée et continuellement actualisée par les Européens depuis le 15e siècle – compose avec le design du globe, un modèle (manipulable) à petite échelle de notre planète. Objet d’art SLASH objet de design, iconographie du pouvoir et démonstration de connaissances scientifiques, Google Earth est peut-être sa dernière mise à jour. Basé sur une grille géométrique (inventée par Gérard Mercator en 1569), le globe terrestre 3D actualise un point de vue qui place notre corps à l’extérieur du monde et met en scène – une fois de plus – une espèce humaine en tant qu’être divin capable de zoomer et de dézoomer dans le monde. Initiée pendant la guerre froide, notre version actuelle de la vue globale est en outre directement liée à une collaboration entreprise – État – recherche – militaire qui stimule l’observation et la modélisation météorologiques via des technologies satellitaires et informatiques.
Questionnant les liens entre la science et la fiction qui conditionnent l’exploration spatiale et les imaginaires contemporains, Teasing New Weather Tv: Post-Producing Global Views montre la vue depuis l’extérieur comme un objet de design (politique) qui structure (via des techniques d’imagerie) la perception de (et la relation avec) notre planète. Mais au-delà de la mise en espace de la critique (académique) abondante liée à cette perspective depuis l’espace, l’installation vidéo matérialise une recherche design en cours qui vise à prototyper des nouvelles représentations (météorologiques) de la vue globale. Cette recherche a commencé avec un premier travail de terrain mené au sein du CMS Météo-France. Le Centre de Météorologie Spatiale (basé à Lannion) acquiert, traite, distribue et archive les données de multiples satellites produisant une observation météorologique globale et permanente – une vue composée de nombreuses images et calques.
Quelles images voulons-nous rendre réelles afin de performer des attitudes post-anthropocentriques ? Peut-on redéfinir la perspective globale iconique ― en nous basant sur la réalité des images composites matérialisant des images partielles et situées liées à d’autres images partielles et situées (capturées par des satellites et des sondes météorologiques) ?
Stay tuned...
Bibliographie
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