Envisager, très concrètement, de nouvelles mobilités, c’est l’objet de la conférence Fix, flux + flow du 23 juin 2022, liée à une programmation globale. Rencontre avec Laetitia Wolff, sa conceptrice.
La question des bifurcations dans nos façons de nous déplacer est très actuelle. Comment êtes-vous rentrée en contact avec ce sujet ?
Par une confluence de demandes. Tout d'abord de la part d’Olivier Peyricot, qui montait l’exposition Autofiction, et avait été sollicité par Transdev qui avait tout de suite compris les enjeux prospectifs soulevés par cette exposition. Il cherchait une façon de traiter certains sujets connexes. Puis, c'est Isabelle Vérilhac, inspirée elle aussi par la thématique de l’exposition, qui a lancé une série d’ateliers pour mobiliser le réseau des villes créatives Unesco.
Depuis 20 ans, je travaille régulièrement avec la Cité du design, sur les biennales qui nourrissent ma pratique d’ingénieure culturelle. Je pose des questions aux designers sur les frontières du champ de leur intervention : comment faire réfléchir des designers à des sujets complexes, des enjeux sociétaux et environnementaux ? J’ai travaillé par exemple sur l’obésité, la gentrification urbaine, la démocratie américaine, la sécurité publique… La mobilité est au cœur d’autres problématiques : ce projet est ainsi dans la continuité de mon travail. Se pencher sur le sujet, c'est ouvrir une boîte de Pandore, se retrouver à un carrefour de questionnements : on croit qu’on traite un sujet. En fait, on en traite 40 !
Ce format de « conférences » a-t-il connu des bifurcations ?
Récemment, les conférences ont connu une bifurcation un peu tristounette : l’attente du public de pouvoir tout faire sur internet et par zoom. Depuis le Covid, les gens ont moins d’excitation à aller à un événement en personne. C’est d'avantage un défi de mobiliser la participation sur place d’un événement comme celui-là, qui touche un sujet quotidien, sans être un sujet de conversation. La mobilité, tout le monde en fait l’expérience, mais le sujet reste dans les mains des experts...
En quoi le design permet-il d’appréhender cette question de la mobilité ?
Cette conférence Fix, flux + flow mobilise les experts par la nature même de l’événement qui est sponsorisé par Transdev. Le sujet doit être démocratique. C’est très difficile de vulgariser la conversation, difficile d’en restituer toutes ses dimensions, mais c’est ce que nous avons essayé de faire, en développant le contenu de cette conférence. Il s’agit de croiser les regards, les voies, de remettre au centre la qualité unique que peut apporter un regard de designer, contrebalancer cette tendance technicienne des ingénieurs, et ouvrir sur des grands enjeux philosophiques, sociologiques, parler également d’architecture et d’urbanisme, des infrastructures, des changements du paysage… et des connexions invisibles avec les données et les flux d’informations liées à ces mobilités.
Des milieux, qui ne se parlent pas forcément, mais peuvent apporter des points de vue complémentaires, à croiser. On apprend les uns des autres.
Le premier objectif de la journée est de complémenter le contenu des expos, qui est très riche : Autofiction est presque comme un catalogue, apporte des réflexions approfondies sur l’évolution de cet objet voiture, le repositionne dans l’espace public de la ville… Dans la continuité, la conférence va prendre ce canevas pour essayer d’en lire toutes les implications possibles : au niveau du paysage, des infrastructures physiques (le transport d’énergie…) mais aussi invisibles (internet…) sans oublier les dimensions de comportements, usages, des humains sur la planète…
Quelle est l’échelle choisie pour traiter de ce sujet des mobilités ? Plutôt locale ou plutôt internationale ?
La conférence Fix, Flux + Flow donne la parole à la fois à des acteurs représentatifs des enjeux particuliers de la métropole de Saint-Etienne (comme l’application Moovizy par exemple), de la métropole voisine de Lyon (présentant notamment une étude des comportements des usagers pendant et après les confinements liés au Covid), mais sans se restreindre uniquement à l’échelle locale. Des perspectives européennes seront apportées par des designers comme Jens Martin Skibsted, qui réfléchit aux enjeux mondiaux liés aux transports, ou encore Luca Ballarini, qui présentera le projet Stratosferica de Turin qui repense l’infrastructure de tramway pour en faire des espaces publics cocréés, ancrant la participation citoyenne dans le projet. L’idée est bien d’apporter des perspectives sur ce sujet, le voir de haut, réfléchir aux enjeux éthiques de cette mobilité. La ville de Turin fait aussi partie du réseau des villes créatives Unesco, ce qui nous a permis de travailler régulièrement ensemble dans le cadre d’ateliers.
Comment s’articulent l’exposition Autofiction, les ateliers Villes Créatives Unesco et la conférence Fix, flux + flow ?
La conférence du 23 juin est pensée en écho à l’exposition Autofiction, c’en est une expansion, poursuivant la réflexion sur ce que pourrait être cette voiture dans un espace futur, dirigé par les enjeux de l’e-mobilité : la voiture autonome, les réseaux électriques. Qu’est-ce que ça change dans nos appréhensions des stratégies de mobilité urbaine ?
Les ateliers, avec le réseau Unesco, ont eux aussi été inspirés par la thématique soulevée par Autofiction. Ils sont construits sur des problématiques locales, et empruntent la démarche de design thinking plus légère, mais commencent à partir des besoins usagers, et permettent ainsi de dessiner des premières pistes de réflexion pour les acteurs publics. Encore une fois, c'est une manière de décloisonner les conversations, au-delà des parties prenantes traditionnelles.
Le 24 juin (au petit théâtre et online) seront présentés des projets montrant comment les villes du réseau Unesco ont pu bifurquer au niveau de la mobilité dans les centres-villes.
Comment fonctionnent les ateliers que vous organisez ?
Le réseau villes créatives Unesco a grandi, et ce n’est pas toujours facile de trouver des points communs à 30 villes si différentes ! Nous avons mobilisé des sous-thématiques, permettant de réunir autour d’intérêts communs certaines villes de ce large réseau, afin de mobiliser de façon pointue sur des enjeux historiques notamment. Par exemple, plusieurs municipalités sont – ou ont été - des centres de production de la voiture très importants : Turin capitale de la voiture italienne, Puebla au Mexique, Detroit aux USA, Geelong en Australie…
Comme point de départ aux ateliers, nous avons croisé les expériences, échangé sur les bonnes pratiques, afin de voir si certaines solutions imaginées dans une ville pouvaient être répliquées dans une autre.
3 grandes sous-thématiques sont explorées : les bifurcations au niveau des systèmes et des process : réfléchir comment les villes elles-mêmes mettent en place de nouvelles manières de travailler, d’intégrer le design dans leur collaboration, et les bifurcations sur des lieux, histoires, récits de ville… La bifurcation est aussi explorée au sens symbolique, avec les réinterprétations de l’héritage culturel autour de ces nouveaux récits, les bifurcations dans l’imagination d’une ville qui intègre des enjeux de végétalisation, de diminution des émissions de carbone, de respect de la biodiversité…
Les ateliers se sont organisés en 3 phases : des ateliers online et en présentiel, le dépôt d’un dossier auprès de la commission européenne pour continuer cette recherche de manière plus appliquée (en attente), et enfin les ateliers - encadrant la conférence - les 22 et 24 juin pour faire travailler ensemble des membres du réseau Unesco.
Une partie a pu se faire en présentiel à Turin, Courtrai et Dubaï, avec des ateliers de design thinking qui permettaient d’ouvrir des pistes de réflexion, d’aider les municipalités à s’appuyer sur une démarche de co-construction, de participation citoyenne. A Dubaï par exemple, où le métro tout neuf sert plus aux touristes qu’aux Dubaïotes, les visiteurs étaient invités à participer à la conversation sur les mobilités du futur : un public non-expert réfléchissait ainsi à la manière d’améliorer les déplacements en ville.
La Cité du design n’a cessé de jouer ce rôle d'expert depuis que Saint-Étienne a rejoint ce réseau, qui fait travailler tout le monde ensemble. La Cité à cet avantage d’offrir un terrain d'expérimentations, dans le contexte de la Biennale notamment, assez génial. Il permet de trouver à chaque fois une façon de travailler ensemble, de continuer de faire réfléchir ses villes, et même de faire bénéficier Saint-Étienne de regards et d'horizons lointains, en décalage par rapport à son identité, à sa réalité.
A qui s’adresse la conférence Fix, flux + flow ?
D’abord
aux personnes qui s’intéressent à la mobilité de près. La métropole
réfléchit à diversifier les modes de transports sur le territoire. Les
ingénieurs se penchent de façon très pratico-pratique sur ce sujet la. La journée
cherchera à ouvrir vers les imaginaires de la mobilité, afin d’essayer
de penser de manière prospective et théorique à d’autres façons
d’anticiper les enjeux de la mobilité. Cela peut donc aussi intéresser
de plus en plus les designers.
Si le côté technique peut faire un peu
peur, nous essayons de casser les barrières entre ces mondes, réunir
techniques et imaginaires, avec notamment l'introduction de Jens Martin
Skibsted, qui incarne à la fois le designer, le philosophe et
l'influenceur politique, et apporte ainsi une vision globale. La
mobilité, c’est un sujet de tous les jours qui importe à tous. Si on ne
s’en empare pas, il restera dans les mains des experts. Cette journée
peut donc intéresser tous les citoyens.
Pour suivre la conférence Fix, flux + flow, rendez-vous le 23 juin à 9h45 au Théâtre de la Biennale.
Toutes les informations et inscriptions (gratuites) ici.