Design de fidgets, d’assises augmentées, d’ateliers de co-création… Alors qu’Inès le Menec vient de conclure son expérience au CyDRe, nous revenons sur son parcours de designeuse-chercheuse, à l’École supérieure d'art et design de Saint-Étienne, et en dehors.
Jeune designer, Inès le Menec a rapidement trouvé son lieu d’expérimentation de prédilection : l’école. Dès sa 2e année d’études à l’Esadse, elle s’engage spontanément auprès de sa mère, enseignante dans un collège parisien particulier dans lequel les élèves sont majoritairement rejetés par le système scolaire classique (DYS, autistes…) afin de concevoir des dispositifs adaptés.
« Pour les petits, il existe beaucoup de dispositifs, inspirés de Montessori notamment, qui permettent aux élèves d’être beaucoup plus dans la pratique, de changer les angles d’apprentissages (par le toucher, la prise de parole, le théâtre, etc.). Mais, par la suite, lorsque les enfants grandissent, ces approches disparaissent : l’élève se retrouve en face de son cahier et son stylo, tout son environnement se tasse, se lisse. C’est pour ça que j’aime beaucoup travailler sur le collège. À mon sens, on peut poursuivre ces différents apports, les faire perdurer. »
Elle creuse le sujet des établissements scolaires lors d’un stage au Pôle recherche de la Cité du design en 2017, pendant lequel elle découvre de nombreux projets réalisés par les chercheurs et chercheuses. Son intérêt se porte particulièrement sur le rôle du designer intégré, c'est-à-dire présent lors d'ateliers conçus avec les usagers… Elle décidera de poursuivre son projet de diplôme dans ce sens, malgré le contexte sanitaire qui ferme toutes les classes dans lesquelles elle avait prévu de s'immerger pour expérimenter.
« Je m’intéresse aux écoles, mais aussi plus généralement aux espaces collectifs, particulièrement publics : Ephad, centres sociaux… »
Projet de diplôme : «Arrête de gigoter et concentre-toi !»
Frustrée de devoir réaliser son projet de diplôme coupée du terrain et confinée dans son appartement, Inès le Menec décide de candidater au post-diplôme, qui lui donnera la possibilité de pousser ses tests.
« Avec mon projet de diplôme « Arrête de gigoter et concentre-toi », ma pratique de designer a consisté à créer des outils pour permettre à chacun de mieux se connaître, afin de pouvoir cibler un équipement adapté à ses modes d’apprentissages personnels. Puis, proposer des modules qui puissent se greffer aux meubles standards, afin de les « augmenter » par des éléments qui viennent répondre aux besoins de l’utilisateur ou utilisatrice. »
Inès le Menec rejoint le CyDRe d’octobre 2020 à 2022, afin de poursuivre son projet, creuser ses intérêts, laisser le temps à certaines de ses intuitions de prendre une forme plus consistante. Pendant ces deux années, elle a pu créer et animer des ateliers de co-création avec des groupes lors de la Biennale Internationale Design Saint-Étienne 2022, ou encore à la Cabane du design, et participer à des résidences d’artistes comme celle des ateliers Medicis, qui s’est déroulée dans une école de Daméraucourt, dans l’Oise.
Cette expérience aux Ateliers Médicis lui a permis cette fois d’aller au bout de son idée, en réalisant intégralement un projet in situ, sur son terrain de prédilection.
« Avec tous ces projets, je me suis progressivement rendue compte que c’était toujours la phase en amont qui m’intéressait beaucoup : l’enquête, la recherche, la création, les ateliers… Comment communiquer avec les usagers ? Comment, ensemble, identifie-t-on quels sont les besoins, quelles sont les solutions envisageables ? Si les finalités sont toujours différentes (immobilier, signalétique…), ce qui m’intéresse le plus est toujours cette phase initiale de recherche. »
Designeuse-chercheuse, Inès le Menec développe ses propres outils pour mener ses enquêtes, ou les faire mener aux participants de ses ateliers. Elle explique sa posture :
« Je trouve important qu’il y ait à la fois une dimension de recherche théorique (à travers les enquêtes, le fait de se renseigner sur ce qui peut exister dans différents domaines…) et de pouvoir en même temps l’expérimenter par soi-même, d’avoir vraiment ces deux phases qui se juxtaposent, de faire des allers-retours entre recherche théorique et recherche plastique, tester sur le terrain puis analyser ensuite…
Je suis issue d’un bac scientifique, j’ai naturellement pris la méthode de recherche scientifique pour l’appliquer au design : partir d’hypothèses, observer ce qui marche ou non, réajuster le protocole… Avant de potentiellement trouver quelque chose. Je parle souvent de « Designer diagnosticien ».
Ainsi, pour expliquer son travail aux enfants qu’elle rencontre lors de ses ateliers de co-création, elle utilise souvent la métaphore du médecin : comme lui, le designer écoute, observe, cherche des symptômes et les interprète au mieux afin de proposer un traitement, qu’il pourra revoir en fonction de l’évolution de la situation.
Si les « ateliers participatifs » sont souvent critiqués, accusés par exemple de donner l’illusion d’un pouvoir d’action aux participants1, ils permettent à Inès le Menec de comprendre les besoins des usagers et les accompagner dans leurs réponses. Elle diffuse ainsi une certaine vision de l'autonomie. Lors de sa résidence aux Ateliers Médicis, les jeunes élèves ont été invités à transformer l’espace les accueillant (leur école), et ainsi à se réapproprier quelque chose habituellement géré par une institution (l’État, la municipalité…), et plus généralement les adultes. La proposition d’Inès le Menec interroge ainsi, indirectement, la prise de pouvoir sur le quotidien.
Comme toute recherche au long cours, celle-ci aura surpris son initiatrice :
« Quand j’ai commencé, je n’avais pas du tout une vision politique de mon projet. Très naïvement je me concentrais sur mes tests et n’avais aucune vision plus générale. Il y a eu une évolution pendant le post diplôme : c’est évident. Déjà, lorsque j’ai présenté mon travail pour mon diplôme ou dans des expositions, j'ai commencé à réaliser qu’il pouvait diviser les personnes, alors que je n’avais pas l’impression de travailler sur un sujet particulièrement tabou, ni clivant. Mais la question du standard est générale, et puis, en tant que designer, on propose quelque chose, qui peut nous échapper, être détourné, nous surprendre… »