L’unité de recherche Design & Création de l’École supérieure d'art et design de Saint-Étienne (Esadse), soutenue par le ministère de la Culture et portée par les cinq équipes de recherche de l'Esadse (laboratoire Images-Récits-Documents-IRD, laboratoire d’expérimentation des modernités-LEM, Random(lab), Spacetelling et Labo d’Objet), propose une journée d'étude sur le thème Qui et que fabrique la fiction ?
Notre
rapport au réel s’inscrit dans une pluralité de monde. Ce qu’on appelle
le « réel » est toujours la formalisation d’une fiction, c’est-à-dire
une construction de faits partagée par le plus grand nombre : autrement
dit une croyance sociale éprouvée collectivement, une fiction
consensuelle1.
De fait, «la question primordiale n’est pas celle des relations que la
fiction entretient avec la réalité ; il s’agit plutôt de voir comment
elle opère dans la réalité, c'est-à-dire dans nos vies2. » La fiction, avant d’être une forme artistique, est donc une construction intellectuelle qui agence des faits3.
Partant
de cette hypothèse, le Groupe de recherche en art et design (GRAD) de
l'Esadse propose de réfléchir à plusieurs questions qui seront soulevées
dans le cadre de cette journée d’étude :
• Comment le « comme si » ou le « faire semblant » de la fiction se sont-ils imposés dans nos modes
de vie au point qu’ils contaminent le réel ? Comment la fiction agirait
sur nos vies ? Comment la fiction ferait bifurquer nos représentations
mentales ? Comment nous travaille-t-elle « de l’intérieur » ?
• De
nombreuses médiations - objets techniques et modes de représentation -
produisent les dualismes artificiels (corps et esprit, sujet et objet,
humain et non-humain) de notre monde moderne et anthropocène. Quelles
contre-fictions défient aujourd’hui les fictions modernes ?
• La
fiction est-elle encore un espace politique opérant ou bien sommes-nous
entré·e·s dans un régime de la création qui ne fait qu’accompagner,
commenter ou documenter l’état du monde ? L’art est-il une réserve
onirique, une « Zone Esthétique Protégée4 », jouant le rôle
d’un espace de consolation, ou bien est-il encore - ou à nouveau - le
lieu où s’invente une autre vie possible ?
• Peut-on considérer l’art et le design comme des expériences de fiction qui enrichissent notre compréhension du monde ?
•
Enfin, si la science a souvent convoqué la fiction comme outil et si la
science-fiction a imaginé des mondes possibles, quels sont les
potentiels fictionnels en jeu à l’heure actuelle ? Auront-ils encore
pour ambition d’être spéculatifs et nous aideront-ils à transformer ou
accepter le monde à venir ? Aujourd’hui l’usage de l’intelligence
artificielle dans nos vies quotidiennes ne transforme-t-il pas les
conditions mêmes de fabrication de l’imaginaire de ces récits,
intrigues, personnages et univers ?
Avec la participation de : Emmanuelle Becquemin, Gilles Belley, Rodolphe Dogniaux, Simone Fehlinger, Karim Ghaddab, Johan Heliot, Pierre Lagrange, David-Olivier Lartigaud, Jean-Baptiste Molina, Émilie Notéris, Ernesto Oroza, Jean-Claude Paillasson, Émilie Perotto.
Les fictions spéculatives comme moyen de transformation sociale sont actuellement mobilisées par une grande variété d'act·eur·rice·s, autant par des militant·e·s anti-autoritaires et anti-capitalistes que par des compagnies d'assurances, l'armée ou des start-up. Après les présentations de certain·e·s de ces act·eur·rice·s, nous explorerons les potentiels rôles de la fiction spéculative dans des changements de paradigmes, en se centrant sur des dispositifs collectifs de création de récits et leurs enjeux.
Entre activisme, recherche et art transdisciplinaire, Jean-Baptiste Molina cherche à transformer les fictions spéculatives en outils de luttes anti-capitalistes et anti-autoritaires. Basé sur Bruxelles, il synergise dans différents collectifs, tel que Désorceler la finance, non-a, petites singularités, et ZonneKlopper. Après des formations en anthropologie du développement durable puis en agroécologie, il s’est dirigé vers les luttes pour le droit à la ville, déçu du monde universitaire et développementiste.
À l’heure actuelle, comme dans tant d’autres domaines, l’intelligence artificielle rencontre celui de la fiction. Dans la science-fiction, dès les années 1960, l’IA est devenue un thème récurrent qui a nourri l’imaginaire lié au numérique (interface, robotique, etc.). Mais avec les développements récents dans ce champ, ce sont les conditions mêmes d’apparition et d’élaboration de récits, d’intrigues, de personnages et d’univers qui sont transformées. Un pas plus loin que les expériences d’écriture générative, les productions littéraires assistées ou totalement issues de diverses IA ouvrent un vaste champ problématique : Comment s’en emparer sans éliminer la place de l’humain ? Qui est l’aut·eur·rice ? Quel contrôle a-t-on sur le résultat ? Quels potentiels fictionnels cela recouvre-t-il ? Qui souhaite lire une littérature totalement issue de machines ?
En gardant le prisme numérique propre au Random(lab) comme grille d’analyse de ce nouveau paysage de la fiction, c’est la pratique de l’écriture et de la conception d’univers fictionnels qui sera examinée lors de cette discussion avec Johan Heliot, auteur de science-fiction.
Né en 1970, Johan Heliot se consacre pleinement à l'écriture depuis 2002, après avoir enseigné l'histoire-géographie et le français dans un lycée professionnel. À ce jour, il a publié plus d’une centaine de romans chez de nombreux éditeurs (Mnémos, Fleurus, Auzou, L’Atalante, J’ai Lu, Folio, Le Seuil, Gulf Stream, Scrineo, etc.), dans tous les genres de l'imaginaire (science-fiction, fantasy, thriller, historique). Il écrit pour adultes comme pour la jeunesse et anime régulièrement des rencontres et des ateliers auprès de publics variés, en établissement scolaire comme en médiathèque.
Les rôles possibles de la fiction dans les projets de design. Cette discussion portera sur l'influence de la fiction dans la conception, la communication et la conceptualisation des projets de design, ainsi que sur son impact sur les formes et le dessin des objets.
Gilles Belley est un designer industriel, diplômé de l’ENSCI - Les Ateliers en 2001 avec le projet A66, une signalétique numérique pour les autoroutes. Son studio se distingue par des réalisations variées allant du produit au mobilier, en passant par la scénographie, l'aménagement et la signalétique. En parallèle de son travail en studio, Gilles Belley est responsable des diplômes de création industrielle à l’ENSCI - Les Ateliers depuis 2010.
Dans cet exposé, Pierre Lagrange propose de présenter un travail que il réalise depuis de longues années sur ce qu’on appelle en anthropologie le « Grand Partage », une notion qui renvoie à la volonté d'opposer des « esprits rationnels » et des « esprits irrationnels », des sciences et des pseudosciences, des savoirs et des croyances. Le Grand Partage nous a conduit aussi à distinguer la nature et la culture, les humains et les non-humains. Or la crise écologique implique de changer de cosmologie, de cesser d’avoir recours à ces Grands Partages et de modifier les relations que nous entretenons avec les vivants, avec ce que Bruno Latour appelle les « terrestres ». Cela implique donc aussi de cesser d’opposer des "croyances" et des sciences. Ou comment parler autrement de sciences et d’écologie, entre terrestres et extraterrestres.
Pierre Lagrange est anthropologue, spécialisé en sociologie des sciences; chercheur associé au LIER-FYT, Laboratoire interdisciplinaire d'étude des réflexivités (EHESS, Paris).
En 2022, la réalisatrice et documentariste Laura Poitras consacre un film à l’artiste américaine Nan Goldin. La fiction documentaire tresse un parallèle entre la vie de l’artiste et son œuvre et vient questionner la manière dont s’invente une biographie. Le montage (qu’il s’agisse du film de Poitras ou des diaporamas de Goldin) est une pratique de découpe et de ré-assemblage qui procède par collage.
Le résultat est autant le fruit de l’imagination, et de l’intuition, que du souci accordé à la vraisemblance (à sa fabrique), pour faire surgir les émotions susceptibles de raconter au plus près une histoire.
Émilie Notéris, est une travailleuse du texte. Elle a préfacé les anarchistes Voltairine de Cleyre et Emma Goldman (Femmes et anarchistes, 2014) et traduit des écoféministes (Reclaim !, 2016 ; Manifeste xénoféministe), ainsi que les militantes féministes Sarah Schulman (La gentrification des esprits, 2018) et Shulamith Firestone (Zones mortes, 2020). Elle a publié en 2020 Macronique. Les choses qui n'existent pas existent quand même (Cambourakis, coll. « Sorcières »), texte de réaction écrit entre octobre 2019 et mars 2020 qui établit un relevé des violences policières, et Alma Matériau (Paraguay), une histoire féministe de l'art. En 2022, a paru Wittig, brouillon pour une biographie de Monique Wittig, aux Éditions Les Pérégrines. Elle est actuellement doctorante à Paris 8 en Littératures françaises auprès d’Yves Citton et Hourya Bentouhami.