La Biennale Internationale Design Saint-Étienne 2022 explore les enjeux de l’alimentation avec l’exposition Qu’est-ce qu’on mange ? Nourrir la ville proposée par les Archives municipales. Comment nourrir les Stéphanois ? Produire, transformer, distribuer, pour permettre à chacun de s’approvisionner ? L’exposition évoque les choix politiques garants d’un accès sécurisé et équitable à la nourriture ainsi que l’histoire des lieux les plus représentatifs dans la ville et sur le territoire proche. Elle dresse un portrait de l’engagement associatif face à l’urgence alimentaire, mais aussi dans le soutien aux producteurs locaux. Autant d’initiatives qui facilitent l’émergence d’une gouvernance alimentaire sur le territoire et rendent cette question plus que jamais d’actualité.
Rencontre avec Juliette Morain, responsable de l’action culturelle et de la médiation aux Archives municipales et métropolitaines de Saint-Étienne.
Sous quel angle est abordé le sujet de l’alimentation dans l’exposition Qu’est-ce qu’on mange ? Nourrir la ville ?
Le titre de l’exposition est construit en deux parties avec une question : Qu’est-ce qu’on mange ? et un sous-titre : Nourrir la ville. Longtemps, le titre de travail était Se nourrir, l’affaire de tous. Ce qu’on aborde dans l’exposition c’est la thématique de l’alimentation sous un angle citoyen avec une approche contemporaine face à la question de l’accès à l’alimentation.
En 2007, les Archives Municipales avaient présenté une exposition qui s’intitulait Archives gourmandes, tour de table de la gastronomie locale qui présentait les habitudes culinaires des Stéphanois et les spécialités gastronomiques de Saint-Étienne. Avec cette nouvelle exposition, on souhaitait un angle différent, moins axé sur le contenu de l’assiette. On voulait plutôt réfléchir à comment, collectivement, une société ou une ville s’organise pour permettre l’accès à l’alimentation à tous. C’est ce qui a déterminé cette entrée très citoyenne de la thématique. Etant les Archives Municipales, notre autre objectif était d’entremêler passé et présent pour essayer de comprendre l’enracinement de cette préoccupation sur notre territoire.
L’exposition couvre le périmètre urbain mais aussi rural ?
L’exposition se concentre sur la ville de Saint-Étienne avec des archives liées à histoire de la ville et de ses habitants. Néanmoins quand on parle d’agriculture, on parle de production agricole, d’élevage et donc d’un territoire qui va aller au-delà du périmètre urbain. Assez rapidement, on présente la métropole et ses communes. Selon les parties et les besoins de l’exposition on a pu élargir notre rayon de 50 km à 75 km autour de Saint-Étienne ce qui nous a amené au-delà du département de la Loire, sur la Haute Loire, l’Ardèche et le Rhône. Cela a été une vraie question pour déterminer la bonne échelle. On présente également plusieurs cartes qui permettent de voir le dialogue qui peut s’établir entre le rural et l’urbain. La ville de Saint-Étienne a la particularité d’avoir un environnement rural très proche. Les habitants ont conservé ce lien ancien et très fort avec ce territoire. Par exemple, il y a eu beaucoup de transmission sur la maitrise de la culture en potager qui s’est faite par cet intermédiaire.
Comment est construit le parcours d’exposition ?
L’exposition débute avec une grande partie intitulée Produire, distribuer, s’approvisionner, qui dresse un portrait des lieux d’approvisionnement dans la ville qu’on retrouve partout, à différentes échelles, dans le territoire. Des grandes surfaces aux petits commerces jusqu’aux nouvelles façons de s’approvisionner. Les grandes surfaces, les halles y sont présentées, ainsi que les petits commerces de proximité, qui sont des commerces spécialisés qui vendent un produit particulier : crèmerie, fromagerie, boucherie, boulangerie. Il y a aussi des lieux d’approvisionnement que le citoyen lambda ne fréquente pas comme les marchés de gros qui sont de vraies structures clefs dans la chaine de l’approvisionnement.
Sur une autre partie de la déambulation, on présente des lieux où l’on peut s’approvisionner quasiment sans intermédiaire, par exemple les marchés ou les magasins de producteur puis on termine sur les potagers et les jardins ouvriers qui font partie de l’histoire de Saint-Étienne avec les jardins Volpette par exemple qui se sont dévéloppés au cours du XXe siècle. Une autre partie est dédiée aux productions du territoire. On s’éloigne de Saint-Étienne pour aller dans les différentes zones environnantes, les zones agricoles. On revient sur les productions familiales comme l’élevage de petits animaux, les activités d’arboriculture, de maraichage, de viticulture. A travers la physionomie ces activités on dessine le paysage environnant de Saint-Étienne. On termine avec une série de cartographie de la fin du XVIIIe siècle à nos jours qui montre l’évolution et la progression de ces cultures et des lieux de transformation.
Après ce grand panorama de l’approvisionnement et de la production, on questionne la politique alimentaire. On entend le terme « politique » au sens de l’action publique, là ou intervient la ville ou les collectivités territoriales pour soutenir un des maillons de l’alimentation. Le mot « politique » s’entend aussi au sens « citoyen ». On met en lumière les initiatives associatives et citoyennes qui existent autour de cette problématique et qui œuvrent à une amélioration et à une alimentation accessible à tous. Un dernier espace dans l’exposition met en avant les produits du territoire : café caco, produits laitiers et carnés et vins.
Comment les municipalités et les associations dessinent une stratégie alimentaire sur le territoire ?
L’entremêlement entre actions publiques et actions privées permet d’avoir une stratégie alimentaire sur un territoire. Concernant les actions publiques, on peut citer les interventions municipales avec la création d’une restauration scolaire qui permet aux enfants des familles les plus démunies d’avoir un repas par jour dans le cadre scolaire. Depuis plusieurs années à Saint-Étienne il y a une action très forte menée pour favoriser les menus à base de produits bio et locaux. Il y a une vraie prise de position sur ce sujet. Il est tout aussi important de privilégier les produits locaux avec moins d’intermédiaires en faisant vivre les éleveurs et les producteurs du territoire. Cette action municipale a permis de priviliégier des circuits courts des producteurs locaux. L’action municipale c’est aussi la création d’un laboratoire d’hygiène pour le contrôle sanitaire des aliments, c’est un volet très important auquel on pense moins. La Ville porte également des actions sociales de proximité liées à l’alimentation, avec des tickets repas, des portages des repas à domicile pour personnes âgées ou des repas en résidence ou encore le financement du centre communal de l’action sociale. On se rend compte qu’il y a un entremêlement avec les initiatives associatives du fait des subventions accordées par les municipalités qui sont relayées par les associations.
Dans l’exposition on revient aussi sur l’histoire des associations comme la Croix-Rouge, la Banque Alimentaire et le Secours Populaire Français. Aujourd’hui il y a beaucoup de mouvements associatifs qui garantissent l’accès pour tous à l’alimentation mais sans renoncer à la qualité alimentaire. Il a des mouvements qui ont pour double objectif de permettre à chacun d’avoir accès à l’alimentation tout en respectant les circuits courts, la saison des aliments ou en évitant les pesticides. Aujourd’hui on a ce double regard qui est celui de la qualité. Il y a des supermarchés coopératifs, des restaurant à prix libre, beaucoup d’initiatives à faire connaître. Par exemple, on en a trouvé la trace de restaurants mutualistes au début du XXe siècle. Ces initiatives ne sont pas entièrement nouvelles. Il y a eu aussi une période après la deuxième guerre mondiale pendant laquelle les distances se sont complétement anéanties. On a fait voyager les aliments sur de la longue distance. On a oublié d’où venaient ces aliments. Il y a eu une période où la conscience de l’origine de l’aliment était moins importante.
En quoi les périodes de crises sont propices à l’émergence de nouvelles initiatives solidaires ?
On évoque rapidement la crise sanitaire du Covid mais aussi d’autres périodes critiques comme les guerres ou la crise économique des années 30. Par exemple le restaurant populaire, un dispositif de restaurant pour les familles de chômeurs fonctionne uniquement pendant les périodes de crise. Pendant la deuxième guerre mondiale il change de nom et devient le restaurant du secours national qui avait pour objectif de donner des repas chauds aux familles. C’est le même lieu qui a été utilisé pendant les crises économiques puis pendant la guerre. On constate que les lieux et les organisations existent et selon les moments sont réinvestis. Les jardins ouvriers ont aussi été crées dans des périodes de crises. La période d’activité la plus forte des jardins ouvriers se situe pendant la Seconde Guerre Mondiale. On était dans une situation de crise où l’autosuffisance était importante. On était soi-même producteur, sans parler d’autonomie alimentaire mais du moins on garantissait une forme de subsistance à sa famille.
Nous présentons également des témoignages très intéressants sur les grèves des mineurs de 1948 et 1950 qui montrent comment les citoyens ont soutenu les grévistes en leur apportant à manger et en leur apportant des repas chauds pour qu’ils tiennent leur piquet de grève. Il y a des formes de solidarité qui se mettent en place pendant les crises, certaines s’arrêtent une fois que la crise est passée, d’autres perdurent sous des formes différentes.
D’autres grosses crises alimentaires et sanitaires des années 1980 et 1990 comme la vache folle ont remis les choses à plat. Des mouvements comme les Amap ont émergé au début des années 2000 suite à ces crises. C’était aussi un soutien à l’agriculture paysanne. Cette idée s’est aussi élargie dans l’idée de soutenir les producteurs qui sont sur un territoire donné. On se rend compte qu’il y a une continuité dans ces formes d’aide alimentaire. Le sujet de l’alimentation est en mouvement. Il y a encore des initiatives très récentes qui apparaissent. C’est un sujet qui n’est pas clos par la force des choses, il concerne tout le monde, il y a des choses à inventer tournées vers l’avenir.
L’exposition est visible jusqu’au 29 avril 2022 aux Archives municipales, 164 cours Fauriel à Saint-Étienne.
archives.saint-etienne.frL’exposition est labélisée Biennale Internationale Design Saint-Étienne 2022