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Photographier le design

Choisir l’essentiel : un point de vue sur l’histoire du design au Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne Métropole

par Coline Vernay

André Wogenscky, Tables et chaises du foyer Clairvivre (Saint-Étienne), 1964, métal, mélaminé, collection Mamc+ / à gauche : Ito Josué, Firminy : place du centre, foyer de personnes âgées, 1960, tirage d’après négatif, collection Mamc+ / à droite : Ito Josué, Ensemble de photographies de Firminy-Vert, fin 1969-début 1970, tirages d’après négatif, collection Mamc+

Escale au Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne Métrople (Mamc+), pour « choisir l’essentiel » dans l’exposition en cours Déjà-vu. Le design dans notre quotidien. Les portes des musées ré-ouvrent enfin et l’Avant Biennale peut s’élancer, à la recherche de choix essentiels. Pour introduire ce parcours qui nous entraînera à travers tout le territoire, premiers pas dans l’exposition dédiée au Design, installée dans notre bien-aimé Mamc+. 

L’exposition Déjà-vu. Le design dans notre quotidien propose une sélection d’objets de design domestique emblématiques, ainsi que des photographies extraites de revues et archives de l’époque.


« Le design dans notre quotidien »

Alors que les visites au musée étaient exclues de notre quotidien car catégorisées « non-essentielles » , l’exposition a tout de même commencé à faire son effet. Au Mamc+, la commissaire invitée Imke Plinta a pu l’observer : « Les monteurs et techniciens ont raconté plein d’histoires, les femmes de ménage aussi, notamment dans la salle des ménagères. Ils connaissent tous certains objets car soit ils l’ont, soit ils l’ont déjà vu. Les retours que j’ai eu, même si ce n’étaient au départ que ceux du personnel comme l’exposition était fermée au public, étaient encourageants. » Elle poursuit : « L’impression de déjà-vu, c’est ce qui s’est passé au cours des visites que j’ai pu ensuite faire accompagnée. “Les amis du Musée”, par exemple, ont grandi avec certaines pièces. C'était intéressant de voir comment ils réagissaient à leur exposition. Les journalistes étaient d'âges différents, des vingtenaires ou des quinquagénaires : d’autres objets sont apparus intéressants selon les regards des visiteurs. » 
La bonne nouvelle est que vous aussi, vous pourrez faire la visite de l’exposition en compagnie de la commissaire, grâce au parcours audio gratuit disponible dans l’application du Mamc+.

Olivier Peyricot, Directeur de la recherche Cité du design et Directeur scientifique de la Biennale Internationale Design, se prête au jeu de la visite et nous présente le sujet qui résonne particulièrement avec le thème de l’Avant Biennale : « choisir l’essentiel ». 

 L’habitat : “expectation VS reality”

« Le plus spectaculaire, ce sont ces images », commence Olivier Peyricot. Tout au long de l’exposition, des photographies donnent à voir des façons de vivre et d’habiter, témoignant des réels usages du design. Imke Plinta explique son intention : « Je souhaitais associer la collection photo du musée avec sa collection design. Ces images permettent d’inscrire l’exposition dans un contexte territorial. J’ai trouvé des traces, et la question était : que peuvent-elles évoquer ? De quoi témoignent-elles ? ». Placées à proximité d’objets connus, chargés d’imaginaire personnel, elles leur donnent une dimension supplémentaire, historique et critique. « J’ai fait le choix d’utiliser des photos dans lesquelles on a un maximum de présence humaine, et c’était important de montrer des objets qui sont présents dans l’expo, à la fois populaires comme le tabouret Tam Tam de Massonnet et sophistiqués comme le fauteuil Breuer », détaille Imke. 

L’unité d’habitation Le Corbusier a été immortalisée au début des années 90 à Firminy par Jean-Louis Schoellkopf. Ces clichés témoignent d’une réalité parfois loin de l’idéal des concepteurs du bâtiment et son aménagement : les intérieurs sont très différents d’une famille à une autre. « Le projet était celui de l’architecte, après les gens s’emparent de leur habitat. C’est amusant car il y a des contresens complets », apprécie Olivier Peyricot. Le projet du mouvement moderne est ainsi questionné par les pratiques amateures.

« Toutes les pensées derrière la nouvelle habitation allaient loin, ça n’a pas toujours fonctionné. Je ne veux pas glorifier cette période, ce qui m'intéresse, c’est comment on a communiqué à l’époque pour faire un projet, et comment ce projet était acquis par la population. La politique déployée autour n’a pas été forcément telle qu’on l’avait imaginée au départ », complète Imke Plinta.

Le journal de l’exposition, en accès libre au Musée, conclut ainsi : « L'intérieur standardisé ne semble être qu’une théorie, un rêve sur papier ». Face à ces images, capturées 24 ans après l’inauguration de l’Unité d’habitation de Firminy-Vert, le décalage entre le projet initial et la façon dont il est investi par les locataires est flagrant. 
L’idéal des modernes se heurte notamment aux habitudes culturelles. « Le problème des Français avec le design, c’est qu’ils ont un patrimoine de meubles. On se transmet les meubles de génération en génération », commente Olivier Peyricot en observant sur une image un meuble en bois ancien, d’un style très différent de celui des formes volontairement simples, rectilignes et légères de l’unité d’habitation. 
Une autre explication à cette remise en question de la théorie, lorsqu’elle est mise en place et confrontée avec « le terrain », est donnée par Imke Plinta : « Dans la population, certains veulent plutôt une vie pavillonnaire, d’autres souhaitent plutôt une communauté, etc. ». La force de ses photographies de Schoellkopf est de faire ressortir visuellement l’impossible standardisation des goûts, la non-uniformité des « besoins », la difficulté d’imposer une vision de « l’essentiel ».

L’école : à hauteur d'enfant

Une deuxième série d’images est centrée sur cette même période influencée par la pensée moderne, présentant cette fois deux écoles. 

Devant les clichés d’Ito Josué, Olivier Peyricot commente : « L’école est conçue à l'échelle des enfants. Les points d’hygiène sont assez importants, et l’espace permet une initiation à l’art contemporain dans le sens graphique, avec les compositions de couleurs... La question de la qualité de la vue, de la vision est centrale et c'est quand même assez chouette, le rapport au paysage avec les ouvertures, l’encadrement coloré des fenêtres… »
Comme le montre cette citation du groupe CIAM-France reprise par le journal de l’exposition, l’ouverture est en effet primordiale dans cette approche de l’architecture : « Le soleil, qui commande à toute croissance, devrait pénétrer à l’intérieur de chaque logis pour y répandre ses rayons sans lesquels la vie s’étiole. »

« Les fenêtres plus basses, les espaces variables… C’est la première fois en France qu’on construit des écoles à l'échelle des enfants. Ce qui m’a intéressé, c’est de savoir pour qui c’est fait, et l’usage qui en est fait. L’École des Noyers, conçue par Marcel Roux et meublée par Pierre Guariche, a servi d’exemple pour la construction des nouvelles écoles à l'échelle de l’enfant, alignées à l’usager », renseigne Imke Plinta.
Ce que soulignent habilement ces images où les enfants sont centraux, ce sont en effet les usages de l’espace : « Il y a tout un apprentissage du collectif : chacun vient accrocher son manteau, il faut gérer le partage des espaces, etc., c’est une approche assez communiste de l'espace, une vision de l’espace commun. Il s’agit de responsabilité des individus et de la formation à la responsabilité des enfants », précise le directeur scientifique de la Biennale.

Aujourd’hui, avec les avancées de la recherche en psychologie enfantine notamment, le sujet de l’éducation des enfants a encore gagné en importance. Certaines formes expérimentées par les modernes se retrouvent désormais dans la grande majorité des écoles françaises. 
« Ce qui est essentiel ici est la formation des enfants, la question des façons de former, des engagements sur l’éducation et le rapport aux environnements. A ce moment-là, dans les années 60, se développent les pédagogies Freinet, etc., les architectes sont loin d’être insensibles à ça, l’espace est pensé dans cette approche-là », analyse Olivier Peyricot.

Les enfants qu’on peut observer se mouvoir sur ces photographies prises dans ces écoles particulières ont aujourd’hui 55 ans environ. Certains profiteront peut-être de l’exposition pour retrouver des visages familiers...


L’exposition Déjà-vu. Le design dans notre quotidien est visible jusqu’au 22 août 2021 au MAMC+.
mamc.saint-etienne.fr

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