À l’invitation de Michel Lussault (directeur de l’École Urbaine de Lyon) et Olivier Peyricot (directeur scientifique de la Biennale), Franck Houndégla a conçu cette journée d'études "Penser depuis l'Afrique", qui s'est déroulée lors de la Biennale Internationale Design 2022.
Les présentations de projets ont été varié - architecture, santé, économie, culture, agriculture...
À travers ces témoignages se dessinent des façons de faire ancrées dans différents territoires africains, qui, par leurs démarches et valeurs, inspirent et se diffusent à plus grande échelle.
L'injonction à bifurquer est toujours très forte dans les pratiques créatives (...) le design permet d'organiser la lecture des enjeux.
Commissaire de l'exposition Singulier, Plurielles, Franck Houndégla introduit cette journée. Il présente sa vision de l'Afrique, invitée d'honneur de cette Biennale Internationale Design 2022. Designer, scénographe, chercheur en architecture, il évoque notamment les façons d'habiter ce continent, les dynamiques portées par différents acteurs locaux, et les enjeux auxquels ils sont actuellement confrontés.
La question de la circulation des modèles est centrale. Notamment dans leur diffusion sociale, spatiale, leur pouvoir d'influence, d'adaptation ou de réplication, mais aussi leur portée politique, économique et esthétique.
Muséographe, Aldiouma Yattara présente le concept des banques culturelles, décrivant des projets concrets existant au Mali, au Bénin et au Togo. Nées pour protéger le patrimoine -artistique notamment -, ces banques culturelles sont gérées par les communautés locales, et permettent à la fois de conserver des œuvres sur les territoires, et d'y financer des projets entrepreneuriaux. Aldiouma Yattara, un de leurs co-fondateurs, explique leurs démarches, leurs effets sur les populations, et introduit d'autres projets similaires en cours dans le monde.
Il fallait trouver une forme de musée adaptée au contexte africain, et dans laquelle les communautés se retrouvent.
A la fois architecte et docteur en Anthropologie, Salima Naji attire l'attention sur les traditions vernaculaires. Elle présente des exemples concrets de ses réalisations au Maroc, ancre ses sujets de recherche. Ressources, matériaux, techniques, institutions... tout est interrogé, dans son contexte. Une pratique critique précieuse qui gagne progressivement, à force de luttes et de démonstrations exemplaires, en reconnaissance.
Peu importe les frontières, c'est la pensée qui nous structure
Justin Lekoto, responsable de la formation et de la production des énergies renouvelables, présente la ferme Songhaï. Depuis les années 80', elle explore au Bénin des alternatives en agriculture, innovant notamment en terme de gestion des ressources et des déchets. Justin Lekoto explique son fonctionnement, sa philosophie, ses missions, ses 7 piliers, et la diffusion de ses activités (podcacts audio à venir)
L'environnement est considéré ici comme un partenaire.
Anthropologue au CNRS, Yann Philippe Tastevin revient sur son expérience au Sénégal, au centre de design dakarois Kër Thiossanesa, sa rencontre avec Bassirou Wade (Bass)... et la genèse de la création du Raxasukayu loxo (lave-main). Ce projet a permis, en situation pandémique, de déployer un système de lave-main low-tech extrêmement économe, adapté aux usagers et contexte.
Pendant la pandémie, tout un tas de systèmes non raccordés émergent, au coin de la rue. Je commence à faire un inventaire, à constituer une sorte de corpus... (...) il y a ce problème du contact, si le robinet il faut le toucher, les gens n'y vont pas. (...) on s'aperçoit que ces dispositifs s'échouent et ne sont pas utilisés. Je revois Bass, on se retrouve dans un endroit qui n'est pas anodin : Kër Thiossanesa, qui est beaucoup plus qu'un fablab dakarois.
Géographe, urbaniste, Michel Lussault se prête à l'exercice de conclusion de la journée, cherchant à « redonner son épaisseur »1 au sujet plutôt que le synthétiser. Il fait observer les évolutions de l'urbanisation sur le continent Africain (et en dehors, rappelant l'importance des liens extérieurs, notamment avec les diasporas), les contextes politiques... puis se concentre sur la question des modèles : s'il n'y a pas de modèles occidentaux à appliquer à des villes dysfonctionnelles, peut-on penser la mondialité à partir de ce qui s'élabore en Afrique ?
Pour Michel Lussault, cela est nécessaire, mais demande de relever plusieurs défis : affronter la machine infernale du système productif-extractiviste, lutter contre les inégalités, soutenir les aspirations d'émancipation, conserver une certaine habitabilité du monde... Il invite à faire appel aux forces des sociabilités existantes, à considérer les dynamiques de l'informel comme une ressource, à sortir de l'opposition low/high tech, à œuvrer au déplacement de la routine.
Il faut rompre avec l'idée qu’il existe un modèle. Il y a toujours a minima des modèles. ce n'est jamais facile pour les autorités politiques, qui ont tendance à épurer, ne vouloir qu’une seule tête, d’accepter qu’il y a une pluralité de modèles. Mais il nous faut rejeter l'uniformalité du modèle unique.2