L’Histoire, lorsqu’elle est racontée par celles et ceux qui la font, prend une autre dimension.
Josyane Franc a participé à la création de la Biennale Internationale Design Saint-Étienne, et a depuis activement accompagné son développement.
En 2017, alors directrice du Pôle International de la Cité du design et de l’École supérieure d’art et design de Saint-Étienne et coordinatrice de Saint-Étienne Ville Unesco de design, elle raconte dans un article publié dans le catalogue de la Biennale l’histoire de cet événement et son ancrage territorial. Nous le repartageons aujourd’hui.
A venir sur le territoire : la première exposition inter-établissements (universités, grandes écoles) sur le design.
« Design Designs Designers » : du 4 octobre 2022 au 4 janvier 2023.
Cet événement, sera composé d’expositions, de rencontres culturelles et scientifiques et d'ateliers.
3 espaces d'expositions :
— le hall de la BU de travaux d’étudiants designers du Lycée La Martinière de Lyon,
— l’INSA de Lyon,
— La BU Tréfilerie de l'Université Jean Monnet. Cette exposition intitulée Saint-Étienne, creative design : 12 années tous Azimuts, aborde la question du Design à travers une exposition rétrospective des affiches des Biennales Internationales Design Saint-Étienne - du 4 octobre au 5 novembre 2022.
Un événement porté par de nombreux partenaires :
- l''Université Jean Moulin Lyon 3,
- l'Université Jean Monet, Saint-Étienne,
- la Martinière, Lyon,
- la BU de Saint-Étienne,
- l’INSA de Lyon,
- l’association Designers+,
- l’association Lyon Cité Demain,
- l’institut culturel italien,
- l’entreprise Silvera,
- le département concept car de Renault,
- Design Framery...
Interview de Josyane Franc, initialement publiée dans le catalogue de la Biennale de 2017 :
Comment est née l’idée de lancer une Biennale du design à Saint-Étienne ?
L’idée est née de la rencontre entre deux visionnaires : Jacques Bonnaval et Michel Thiollière. Jacques Bonnaval, alors directeur de l’École régionale des beaux-arts de Saint-Étienne, a orienté, dès 1989, le développement de son établissement autour des formations en design, des nouvelles technologies et des partenariats industriels, tout en ouvrant ses champs d’action vers l’international. Stéphanois d’adoption il était fasciné par l’histoire de Saint-Étienne, liée à celle de la modernité industrielle, et, surtout, par le catalogue Manufrance, exemple le plus emblématique de l’avènement d’une culture des objets du quotidien. Il s’est par la suite inspiré de ce format pour son catalogue. Il en est arrivé à proposer l’organisation d’une biennale pour rendre pérenne la dynamique d’une ville où la culture a pu transcender l’ingéniosité. Michel Thiollière, maire de Saint-Étienne qui avait déjà engagé le renouveau urbain de sa cité, était soucieux de dessiner et d’inventer la ville de demain. Il soutenait ce projet dont il rêvait et engage la ville pour relever ce défi.
Créer un tel événement n’était-il pas un pari un peu osé ?
En effet, c’était un pari ambitieux face aux autres villes françaises. Je me souviens de la première conférence de presse à Paris, en 1998 : les journalistes nous interrogeaient sur la légitimité de Saint-Étienne pour organiser un événement de cette envergure, et sur la thématique du design. Autour de Jacques Bonnaval, nous étions un petit groupe de professeurs, administratifs, techniciens et étudiants qui s’engageaient dans une aventure qui allait changer l’identité et le rayonnement international de Saint-Étienne et de l’école.
Un concept novateur qui a été porté par l’école d’art de 1998 à 2004 ?
Dès sa première édition, en 1998, la Biennale Internationale Design Saint-Étienne s’inscrit non pas comme un salon professionnel où s’exposent les succès commerciaux du moment, mais comme une plateforme internationale du design faite de rencontres et de débats autour de l’objet mis en avant dans ses résonances sociologiques et déclinaisons, avec la volonté d’avoir le plus d’identités culturelles représentées. 50 pays en 1998, 100 pays en 2000, c’était comme les olympiades du design, puis 80 pays en 2002 et 70 en 2004. Cela a permis la confrontation des jeunes talents et la découverte de la création des pays émergents en provenance d’Afrique, de la nouvelle Europe, de tous les continents. C’était un concept novateur où se côtoyaient les objets de jeunes designers ou designers renommés, d’entreprises, venant de pays où le design était intégré dans leur culture et de pays où il se trouvait à l’état naissant. Même si ces manifestations apparaissaient souvent brouillonnent pour le visiteur désireux de recettes, elles posaient délibérément des questions afin de maintenir la pensée vivante. Saint-Étienne a ainsi révélé sa capacité à faire venir des designers du monde entier, à fédérer autour d’un événement le monde culturel et économique.
Aujourd’hui encore, la singularité de cet événement réside incontestablement dans le fait d’avoir été créé par une école d’art et design, en construisant par la même occasion un projet pédagogique pour les étudiants. Par les ateliers, la rencontre des designers internationaux, la scénographie, la signalétique, le catalogue, le site Web, le montage et le démontage de l’exposition, s’ouvre un forum improvisé où designers, étudiants, industriels, stylistes, intellectuels débattent et nouent des liens lors des colloques, expositions, défilés de mode et moments partagés dans les bars et festivités. C’est aussi, depuis toujours, un événement fédérateur des acteurs politiques, culturels, économiques et de l’enseignement supérieur de la métropole stéphanoise. La participation importante du public, la passion et l’enthousiasme de l’équipe des Beaux-arts et de la Ville de Saint-Étienne ont contribué au succès de cette aventure humaine.
Cet événement a-t-il joué un autre rôle ?
Dans le cadre de la préparation de la première Biennale, Jacques Bonnaval et moi étions en mission en 1997 à Nagoya pour découvrir le tout nouveau Centre international de design et les inviter à exposer. C’est là que nous avons commencé à rêver d’un lieu. Le succès des deux premières Biennales a servi de révélateur et a déclenché les discussions avec les élus sur une idée de Cité du design comme fer de lance d’une reconversion pour le territoire de la métropole stéphanoise. Le projet était annoncé par Saint-Étienne Métropole lors de la Biennale Internationale Design Saint-Étienne 2002, sur le site de la Manufacture d’armes qui n’était pas encore libéré par les militaires.
La Cité du design a-t-elle changé le concept de la Biennale au cours du temps ?
Elsa Francès, nommée directrice de la Cité du design en octobre 2005, a été séduite par l’idée d’utiliser le design comme moyen de développement du territoire. Elle a proposé que la Cité du design soit un « laboratoire dans le domaine du design, un lieu de pointe axé sur l’innovation et la prospective. Plateforme d’observation, de création, d’enseignement, de formation et de recherche par le design pour les professionnels et les acteurs publics et privés, la Cité du design se différenci[ait] des autres institutions françaises du design en renforçant un axe fort et fédérateur : le design, les mutations sociales et les dynamiques économiques ».
À partir de 2006, la Cité du design a organisé l’événement en s’appuyant sur les principes permanents d’appels à candidature, ainsi que sur son partenaire privilégié : l’École des Beaux-Arts qui a changé de nom pour École supérieure d’art et design de Saint-Étienne. La manifestation a changé de lieux pour investir des friches industrielles proches de la Manufacture d’armes de Saint-Étienne.
Plusieurs commissaires étaient invités pour parler d’innovation sociale, technologique, technique ou de prospective, en lien avec les activités de la Cité du design, qui utilisait ce moment fort de visibilité des projets. Ce sont des expositions, mais aussi un moment de réflexion, de travail, de rencontre avec tous les publics. À moins d’un an de l’inauguration de la Cité du design, la Biennale Internationale Design Saint-Étienne 2008 se déroulait sur le site de la Manufacture. L’enjeu était de faire comprendre au grand public comment le design contribue à faire évoluer les modes de vie et aux entreprises dans quelle mesure le design est un outil de développement économique. Le pari a été relevé, et le succès, croissant. City Eco Lab, l’exposition principale de John Thackara a marqué tous les esprits – sous une forme expérimentale, elle interrogeait les enjeux environnementaux locaux et globaux. Par ailleurs, des workshops avec les acteurs du territoire ont eu un effet levier sur le développement de leurs actions dans leur quartier.
Est-ce que 2010 marque un tournant dans le rayonnement international de Saint-Étienne ?
C’est une date importante en effet, car pendant la Biennale Internationale design Saint-Étienne 2010, consacrée à la thématique de la téléportation et de la mobilité, le représentant de l’Unesco a annoncé que Saint-Étienne était désignée « ville Unesco de design ». Cette désignation représente une reconnaissance internationale et un changement d’image important pour la ville, qui devient la première ville française de design à entrer dans le réseau des villes créatives en design aux côtés de Berlin, Buenos Aires, Montréal, Nagoya, Kobe, Shenzhen, Séoul et Shanghai. La Biennale s’est structurée davantage au fil des années ; elle a agrandi le cercle de ses partenaires pour s’assurer des résonances à l’échelle régionale. Elle est devenue un événement incontournable dans le paysage international du design.
Puis, comment la Biennale a-t-elle évolué dans les années 2010’ ?
En 2013, un focus a porté sur les 11 villes Unesco de design avec EmpathiCity Making our City Together, puis, en 2015 Séoul, ville Unesco de design, a été invitée d’honneur, en lien à l’année « France-Corée » de l’Institut français. Nous accordons toujours une attention particulière aux créateurs du monde. Pour les entreprises et designers, cela a également conduit à la mise en place d’un forum dédié à l’innovation et aux affaires, ainsi que la création des Labos permettant aux entreprises d’expérimenter leurs nouveautés auprès des visiteurs. Tout cela a renforcé le succès de notre événement auprès des professionnels, la Biennale devenant le lieu de rencontres et de débats pour les réseaux nationaux et internationaux. L’opération Banc d’essai a été lancée en 2015, dans le cadre de la Biennale Territoire pour proposer aux visiteurs, habitants et usagers d’expérimenter des prototypes de mobiliers urbains installés dans l’espace public. Non seulement cela s’est traduit par un réel succès auprès du grand public, mais la municipalité a acheté du mobilier pour l’installer après l’événement. La Biennale a aussi accru sa visibilité dans la presse et les médias sociaux.
En confiant à Olivier Peyricot, le directeur de la recherche de la Cité du design, la direction scientifique de l’édition 2017, nous avons donné naissance à une nouvelle génération de Biennale, puisque le programme est depuis conçu comme un programme de recherche. C’est là un nouveau défi, et nous avons, tous, travaillés sur un laboratoire géant. L'objectif de cette biennale renouvelée était alors de lier le thème général de celle-ci à nos activités économiques, en puisant sa force pour nourrir les programmes de recherche, mais aussi en étant prétexte d'accompagnement d'entreprises (par des expositions et des forums) et support de nos activités d'innovation par les usages (Labo, résidences d'innovation).
Quels en sont aujourd’hui les impacts sur le territoire ?
Ils sont très nombreux. Ce sont de générations d’étudiants devenus designers installés à Saint-Étienne, en France et à l’étranger, fiers d’être stéphanois ; Des participants aux différentes Biennales qui comptent parmi nos meilleurs ambassadeurs dans le monde ; Des retombées médiatiques qui contribuent à inscrire Saint-Étienne en capitale française du design ; Sur le territoire, 70 binômes de commerçants et designers récompensés par le concours « Commerce Design », mis en place par Saint-Étienne depuis 2003 en partenariat avec Montréal ; De nombreux programmes de rénovation par le design d’hôtels, d’écoles primaires, de résidences de personnes âgées, mais aussi dans les transports publics, arrêts de bus, parcs, aires de jeux et la métamorphose de l’Office de tourisme ; Bien sûr, des actions multiples avec les entreprises qui souhaitent comprendre à quoi sert le design, qui veulent innover grâce aux innovations méthodologiques de la Cité du design : Lupi®, Labos®, Labos Expres® et qui témoignent de leur succès ; des programmes de recherche avec des entreprises nationales et internationales ; des collectifs engagés pour redynamiser leurs quartiers ; des designers et créateurs qui s’installent à Saint-Étienne et qui mutualisent leurs savoir faire ; des clusters favorisant le déploiement du design auprès des entreprises (Designers+). La Cité du design reconnue référent du design pour l’innovation dans les entreprises sur le plan national par les gouvernements successifs ; La création d’un poste de design manager, en 2011, au sein des collectivités, a permis à Saint-Étienne et sa métropole, première ville française et européenne à avoir créé ce poste, de recevoir le prix du Design Management Europe. Cela fait partie des nombreux prix remportés sur le plan national et international par la Cité du design, les designers et la ville ; Un programme d’activités destinées aux scolaires en partenariat avec le PRÉAC (Le Pôle de Ressources pour l’Éducation Artistique et Culturelle) participe à l’offre annuelle pour toucher tous les publics. Bien sûr, la désignation de Saint-Étienne comme ville Unesco de design en 2010 inscrit cette ville laboratoire du design dans un rayonnement au milieu des grandes villes du monde. Les visites de délégations ne cessent d’augmenter pendant et en dehors de la Biennale, venues pour découvrir la transformation du quartier créatif de la Manufacture, le site emblématique « du design district » avec la Cité du design comme force motrice du territoire. L’obtention du label « French Tech-Design Tech » en 2015 par la métropole de Saint-Étienne consacre un territoire dans son expertise numérique valorisant ses startups et les industries créatives. Saint-Étienne s’exporte à travers le monde, représentant la France à l’occasion d’expositions de design préparées par la Cité du design : par exemple, pendant l’année de la France au Brésil en 2009 ; à Tallinn, capitale européenne de la culture en 2011 ; à Séoul en 2011 ; à Helsinki WDC en 2012 ; au Graz design Monat en 2014, à la XXIe triennale de Milan en 2016. Sans compter le nombre toujours plus important de visiteurs à chaque biennale.
Une dynamique du territoire…
Depuis sa première édition en 1998, la Biennale Internationale Design Saint-Étienne, en partenariat avec la ville de Saint-Étienne, n’a cessé d’évoluer, de s’enrichir, en conservant toujours un objectif central : démocratiser le design, le rendre accessible à tous les publics, à travers une vision large du métier de designer et de ses multiples applications. Cet événement est unique en Europe même si apparaissent d’autres biennales de design, plus petites et de nombreuses Design Week de courte durée. Cette manifestation est en quelque sorte la part visible de l’iceberg qui rend la ville attractive et vibrante pendant un mois. Elle est attendue par tous les publics. La partie invisible, c’est le travail de terrain des équipes d’activistes de la Cité du design, des designers, des communautés créatives, des entreprises, et d’une politique de design qui a pour but de changer la ville en utilisant l’expérience design comme catalyseur.
Les thématiques des Biennales
1998 - Civilisation de l’objet et urbanisme
2000 - Civilisation de l’objet et énergies inventives
2002 - Civilisation de l’objet et enjeux environnementaux
2004 - Civilisation de l’objet et contrastes Nord/Sud
2006 - Cohabitations
2008 - 10 ans/ City Eco Lab, innovation et modes de vie
2010 - Téléportation
2013 - L’Empathie ou l’expérience de l’autre
2015 - Les Sens du Beau
2017 - Les Mutations du travail
2022 - Bifurcations : choisir l’essentiel