Au cours de ces dernières années, ma recherche s’est
portée autour d’une certaine forme du baroque, d’un baroque sédimentaire, celui
d’une résurgence vulgaire, chaotique et vivace débordant son double : la modernité.
La modernité comme le basculement du monde dans un
processus de mondialisation par la colonisation et le commerce, rendu possible
par d’extraordinaires avancées techniques d’une Europe post-Renaissance. Notre
modernité se matérialise dans ses outils techniques qui transportent et
transforment les flux, qui concernent autant les marchandises, que les humains,
la monnaie et l’information.
En réaction face à une modernité libérale, menaçante et
incontrôlable, le baroque est à l’origine l’expression des pouvoirs établis
d’Europe (l’Église catholique romaine et ses royaumes fidèles) face aux
réformes déstabilisatrices et protestantes.
Au XVIe siècle, fort de leur position hégémonique dans la
conquête du « Nouveau Monde » américain, les colons envoyés des grandes
puissances catholiques de l’époque, exportent les arts baroques comme
l’expression de l’expansionnisme occidental. Pris à son propre jeu, le baroque,
entendu comme l’art de d’accumulation et du désordre, de la corruption et
de la prolifération, devient chez les descendants indigènes, métis, créoles et
ostracisés, l’expression d’une réappropriation post-coloniale : le baroque
comme philosophie de la créolisation. Le romancier, poète et philosophe
caribéen, Édouard Glissant estime que « le baroque s’est naturalisé dans le
monde ». Selon lui, « quand le baroque a franchi les océans et est arrivé en
Amérique latine, les anges et les vierges étaient devenus noirs, Jésus-Christ
était un Indien et tout ça a cassé les processus de légitimité ».
Sans vouloir
prétendre faire partie d’un néo-baroque qui évolue dans son propre contexte
spatio-social d’Amérique latine, je situe le baroque sédimentaire dans
l’encombrante concrétion de l’expression humaine, impulsive, sensible, parfois
irrationnelle, qui progresse à travers les outils et les modes de vie moderne.
Le baroque
sédimentaire a deux origines : la première vient de la description que donne le
poète, dramaturge et critique d’art Severo Sarduy de l’espace baroque : qu’il
définit comme celui de la surabondance et du déchet. La seconde, vient de
l’architecte et théoricien Rem Koolhaas, qui voit en New York – l’œuvre moderne
la plus emblématique de son temps – l’expression d’une « culture de la
congestion ». New York, icône sacrée de la modernité, s’ankylose par son
langage baroque sédimentaire, dans une congestion urbaine. À ne pas le voir
comme une anomalie ou une infirmité, mais plutôt comme une conséquence
intrinsèquement constitutive de la ville moderne habitée. Les buildings de
Manhattan ne sont que superposition de strates, où chaque étage a sa propre autonomie
en termes d’espaces, d’usages et de styles. Chaque tour est une insularité avec
ses propres fonctionnements et infrastructures, mais dépendante de la trame
constituée des 2028 blocs, planifiée à son origine.
Si nous
réduisons l’œuvre moderne à sa fascination pour la gestion et l’accélération
des flux marchands, humains, financiers et informationnels planifiés, hors des
réalités écologiques, son usage matériel à travers l’activité humaine produit
au contraire la congestion d’un baroque sédimentaire. Le développement du
réseau Internet en est la synthèse, l’illustration la plus évidente d’une
corrélation entre fantasme techniciste et libéral à travers les réseaux
sociaux, les plateformes de streaming et les commerces en ligne d’une part, et
ses conséquences matérielles dans l’accumulation de datas et les besoins de les
stocker, tout comme ses répercussions sur les comportements compulsifs humains.
Après avoir été
développé pour un usage strictement militaire, puis universitaire, Internet se
libéralise dans les années 1990. Il est dès son origine largement financé par
des investissements privés (réseaux sous-marins, centres de stockage de
données, gestions de réseaux sociaux, plateformes de commerces en ligne,
commercialisation de ses terminaux : ordinateurs, PC, téléphones, etc.) et par
conséquent se doit d’être rentable et efficient.
Comment Internet, l’objet d’un aboutissement résolument moderne, fonctionnant par des
moyens techniques standardisés (langages numériques, ports et connectiques,
etc.) et rationalisés (gestion des flux, algorithmes, etc.), devient le terrain
d’une expression populaire, chaotique et foisonnante, d’un baroque sédimentaire
?
Alex Delbos-Gomez est designer. Il intègre le cycle de recherche (post-master) de l’Esadse en septembre 2021. Il rejoint le laboratoire de recherche Spacetelling à sa création en 2022, où il est suivi notamment par Émilie Perotto, Ernesto Oroza et Emmanuelle Becquemin. Son travail s’articule autour d’une certaine forme baroque, un baroque sédimentaire, celui d’une « résurgence vulgaire, chaotique et vivace débordant son double : la modernité ».
Bello-Marcano Manuel, architecte, sociologue, maître
de conférences à l’ENSA Saint-Étienne
Collet-Barquero Indiana, auteure et enseignante de
l’histoire de l’art à l’ENSA Limoges
Degoutin Stéphane, artiste, écrivain, réalisateur, chercheur
Dans le cadre du jury de soutenance du DSRD coordonnée par :
Perotto Émilie, artiste, docteure, enseignante-chercheure de l’équipe de recherche Spacetelling à l’Esadse, responsable de recherche
d’Alex Delbos-Gomez
Oroza Ernesto, artiste, designer, enseignant-chercheur de l’équipe de
recherche Spacetelling
à l’Esadse, responsable de recherche d’Alex Delbos-Gomez
Soutenance: mercredi 19 juin à 14h
Vernissage de l'exposition: mercredi 19 juin à 18h30
L'exposition est accessible également au public les 20, 21 et 22 juin de 15h à 19h
Lieux de la soutenance et de l'exposition : 8
place Boivin, 42000 Saint-Étienne
Renseignements sur la soutenance
cycle3.postmaster@esadse.fr
Tél. 06 99 13 77 60