Les designers n'ont cessé de critiquer le projet capitaliste, tout en étant paradoxalement à la pointe de son idéologie et de ses productions. À ce titre, on pourrait le qualifier de pharmakon1, c'est à-dire à la fois un remède et un poison. Le design produit ainsi des formes et des contre-formes du capitalisme dont la Crypte du capitalisme héberge quelques-uns des avatars. D'abord, un hommage presque funèbre à des textes essentiels de l'histoire du design, qui sont l'expression chorale d'un souci : souci de donner du sens au projet productiviste, mais aussi soucieux des conséquences d'un tel projet. Les documents dont les reproductions bordent l'entrée de la Crypte sont pour la plupart épuisés depuis des décennies. C'est aussi à ce titre qu'ils relèvent du mythe. Leur contenu se transmet comme une légende : à l'oral, dans une salle de classe, une conférence ou un workshop, ou via des formes écrites parcellaires, éditorialisées, sélectionnées par les savants du design. Le pôle Recherche atteste de l'existence des artefacts eux-mêmes, réunis par l'exploitation de collections publiques et privées, comme on attesterait de l'existence d'un spectre. À l'intérieur de la Crypte, les ruines-bibelots d'Andréas Angélidakis deviennent des fétiches nécropolitiques2, suivant le mot du politologue Achille Mbembe3. Aussi bien inspirées par l'architecture des polykatoikies d'Athènes (les immenses barres d'habitations modulaires construites à partir des années 1920 pour faire face à la crise des réfugiés fuyant l'Asie Mineure) que par l'esthétique 3D bricolée de la plateforme Second Life (collages sans échelles et autres déformations de fichiers source pour singer à la va-vite matériaux et surfaces), elles sont les maquettes d'habitation pour un monde fébrile où le présent a remplacé le passé et l'avenir, et où le camp, selon Giorgio Agamben4, devient la forme architecturale de l'état d'exception.