Olivier Saguez, fondateur de l’agence Saguez & Partners, connaît bien la Biennale. C’est son agence qui a réalisé l’identité de cette 12e édition, répondant parfaitement au brief de la Cité du design. Rencontre après sa visite de la Biennale, pour recueillir ses impressions.
Qu’avez-vous pensé de cette 12e Biennale Internationale Design Saint-Étienne ?
Cette Biennale s’ouvre après le Covid, une période de réflexion, de cogitation, où l’on a pu se demander : « à quoi je sers ? », « en quoi je peux être utile dans un monde qui bouge ? », etc. La Biennale est un lieu de questionnement, davantage que de solutions, et c’est fort utile. Elle sert aussi de baromètre pour savoir ce que les jeunes – comme la Biennale est liée aux écoles d’art et design – ont comme réflexions sur le monde… Cela permet de voir dans quels sens ils vont. Ce mot « bifurcations » traduit bien le fait que les gens ont envie que ça bouge et participent ainsi à ce que le design soit plus responsable socialement et écologiquement. Ce thème n’est pas une grande surprise, mais c’est une heureuse surprise, on voit que tout le monde va dans le même sens.
Comment la Biennale vous semble avoir évolué ?
Certaines précédentes éditions m’avaient semblées un peu proches d’assises ou de débats ce que je trouvais parfois trop intellectuel. Le design, c’est l’action, la concrétisation, l’incarnation ! Depuis 3 ou 4 éditions, cela a bien évolué, et particulièrement cette année -même si c’est parfois un peu bricolé du fait qu’elle est organisée en partie des jeunes de l’école qui tâtonnent. On ne peut attendre d’eux qu’ils trouvent des solutions - au moins on cherche des solutions, on est concentrés sur les préoccupations du monde. La Biennale traduit bien la nécessité de l’action.
Quelles sont, selon vous, les spécificités de la démarche design ?
Le design souffre d’être perçu comme un art, alors qu’il s’agit d’un art appliqué répondant à des commandes, publiques ou privées. En tant que designers, on doit être utiles, respecter un cahier des charges, etc. Designer est un acte d’utilité sociale et environnementale, pas tout à fait un acte artistique, car l’art n’a pas de commande. Le design, c’est par exemple comment faire une voiture qui roule, autrement, qui soit peut-être même inusable, indéformable, qui ne coûte pas cher, qui peut être mutualisée, etc. C’est ça le design.
Le thème de cette Biennale est « bifurcations : choisir l’essentiel ». Votre pratique professionnelle vous semble-t-elle liée à ces questions ?
L’enjeu de demain est de trouver des solutions pour tous. L’art présente des solutions individuelles, nous les designers des solutions collectives et durables, qui durent. Le designer créateur qui fait une énième lampe ne sert pas à grand-chose : on a déjà trop de chaises, de lampes, etc. Éventuellement, c’est la chaise la plus honnête possible qu’il faut trouver. Construire de façon plus écologique, améliorer la construction, les modes de déplacement, développer de nouvelles façons de travailler : ce sont les urgences !
Avec mon agence, nous travaillons sur de gros projets. Je considère que ce sont les malades qui ont besoin d’être soignés, ce sont les grosses sociétés qu’il faut aider, en dialoguant avec les ingénieurs qui sont des cousins – pas si éloignés que ça – des designers. Par le dialogue, on peut amener de nouveaux usages et de nouvelles façons de faire.
Le design doit redevenir plus frugal. Nous sommes à la fin de la société de consommation : on produira moins, mais mieux, il nous faudra consommer moins, mais mieux, pour tout. Cela ne veut pas dire ne pas produire ou ne plus consommer, mais la frugalité est importante. Il faut réfléchir à où faire des économies (d’énergie, d’argent…) pour continuer à pouvoir donner du plus. L’essentiel, c’est là qu’il faut mettre du temps, de l’argent pour chercher une réponse appropriée.
Dans des périodes difficiles, il faut se recentrer sur les éléments fondamentaux. Nous avons les deux hémisphères de notre cerveau, le sensé et le sensible, il faut faire travailler ces deux parties pour trouver des solutions pratiques et inspirantes à la fois. Car il faut embarquer tout le monde, l’industriel et ses équipes, mais aussi le consommateur et le citoyen, qui est la même personne. Le design, fondé en tant qu’art appliqué, cherche dès ses origines à mettre du beau dans l’utile. Aujourd’hui, il nous faut mettre encore plus d’utile. Le thème de cette Biennale est formidable, il apporte beaucoup de réflexions.
Quelle exposition vous a particulièrement marquée cette année ?
Singulier Plurielles apporte beaucoup de bonne humeur. C’est le royaume du système D, c’est très intéressant la question du recyclage des déchets par exemple, d’autant plus lorsqu’elle est traitée joyeusement. Mais aussi Du sensoriel au biomimétisme, Autofiction, Fouta Bougou et j’ai beaucoup apprécié le travail des étudiants qui ont réalisé l’exposition Le Monde, sinon rien.