Dans le cadre de l'exposition Cancers présentée par la Ville de Saint-Étienne à la Cité du design, une journée pluridisciplinaire réunissait le 2 avril 2024 une vingtaine d'intervenants issus du monde du design, de la santé, des technologies médicales et de la recherche. Organisée en collaboration avec le CHU de Saint-Étienne, partenaire de l'EPCC Cité du design - Esadse, cette rencontre a permis de présenter une grande variété de projets et de tirer de nombreux fils ouvrant sur les possibles à explorer dans la collaboration entre designers, professionnels de santé et patients.
Environ 80 participants sur place et 60 en ligne, principalement des designers, des professionnels de santé, des entrepreneurs, des étudiants et des chercheurs, ont assisté à cette journée organisée autour de 3 conversations thématiques sur la place du designer dans le milieu hospitalier, la collaboration entre designers et industriels dans le milieu médical et sur l'apport du design dans la prévention et le maintien de l'autonomie.
L'importance de l'ancrage de cette journée à Saint-Étienne, première ville à avoir lancé un Plan Cancer en France, fut soulignée en introduction par Marc Chassaubéné, président de l'EPCC Cité du design - Esadse. Ce dernier a également rappelé la présence de nombreuses institutions et entreprises structurantes du secteur sur le territoire, notamment le CHU de Saint-Étienne (8 400 employés), le Pôle Santé Innovations, l'Institut Présage à l'Université Jean Monnet, le cluster d'entreprises innnovantes Noveka, et certains leaders du textile médical comme Thuasne. Plusieurs représentants de ces entités étaient présents parmi les intervenants et dans le public.
Seule ville française du réseau des villes créatives design de l'Unesco, Saint-Étienne est par ailleurs une référence mondiale en matière de design et de créativité.
Ce temps fort est l'occasion de réaffirmer que le design est un puissant moteur pour accompagner les transformations industrielles et sociétales, particulièrement dans le domaine de la santé.
Les designers sont entrés à l'hôpital il y a déjà plusieurs années en
France, notamment dans les secteurs de la psychiatrie, comme l'illustre
en 2016 la création du Lab-ah au GHU de Paris Psychiatrie et
neurosciences par Marie Coirié et Carine Delanoë-Vieux, également présentes à cette journée.
Les expériences et réalisations des dernières années ont permis de faire
émerger la notion de design d'hospitalité et de plus en plus de
professionnels de la santé reconnaissent le rôle actif du design dans le
processus de soin, au bénéfice des patients mais aussi des soignants.
Comme le rappelait en introduction le designer et directeur général de la Cité
du design - Esadse, Éric Jourdan, le secteur de la
santé est l'un des principaux débouchés des designers aujourd'hui. Pourtant, le chemin de la généralisation
d'une telle démarche dans un secteur par ailleurs en crise, marqué
notamment par un turn-over des équipes largement évoqué au cours de la
journée, est encore long.
Le panel des projets intégrant le design présentés, qu'ils soient espaces, dispositifs
médicaux ou objets à visée thérapeutique, a reflété la diversité des
profils et des contextes de travail des intervenants.
De la mise en
place d'un projet pédagogique entre l'Esadse et le CHU de Saint-Étienne pour la création d'un lieu de mémoire en reconnaissance aux donneurs d'organes et de tissus1, à la conception d'une salle de retour au calme à l'hôpital de jour Picot par les designers Benjamin Salabay et Anne-Lise Vernejoul du lab-ah du GHU de Paris Psychiatrie et neurologie, en passant par les démarches de recherche, enquête et documentation des agences de design Smarin, Distorsion, Dooing Studio et des designers Roxane Andrès, Anne-Laure Desflaches, Sophie Larger ou Mathilde Vaillant, les présentations ont permis de faire ressortir à la fois la richesse
des champs d'intervention du design et la spécificité de la
démarche, de la méthodologie et de la posture qu'il induit.
Nous faisons l'expérience à Saint-Étienne des apports du design au sein de l'hôpital depuis plus de 10 ans. L'EPCC Cité du design - Esadse et le CHU ont renforcé leur partenariat par une convention signée il y a un peu moins d'un an, ouvrant ainsi un nouveau cycle de projets prometteurs.
Pour Marie Gérard, design manager chez Thuasne, "[le designer] a la douleur au bout du crayon."
Dans le contexte humain particulier que sont les milieux de l’hôpital ou des Ehpad, et plus globalement dans le quotidien des personnes vulnérables, le design apparaît aux yeux de Carine Delanoë-Vieux, directrice de projets culturels
en santé et chercheuse en art et design à l'Université de Nîmes, comme une clé de compréhension pour penser l'interaction entre les êtres et avec le monde. Le travail du designer est avant tout un travail de traduction. Il touche
du doigt quelque chose de l'ordre du sacré - le danger de mort - et le
transpose dans un objet ou un espace. Insatiable curieux, observateur du quotidien, du geste et des habitudes, doté d'empathie et fort d'une méthodologie favorisant à la fois le questionnement, l'écoute et l'interaction, le designer est un expert de l'imaginaire et du symbolique. Il injecte cette dimension à l'hôpital, qui, bien que le lieu d'expériences existentielles fortes, en est paradoxalement démuni.
Les projets de design initiés dans le domaine du soin partant souvent d'une remise en question (à quoi ça sert?), ils se situent dans une démarche phénoménologique globale introduisant les notions de temps, d'espace, d'histoire et de mémoire et non une approche solutionniste ou segmentaire.
En proposant une temporalité longue, nécessaire pour l'instauration
d'une confiance entre les différentes parties, et des projets de
mouvement et/ou en mouvement, le designer transgresse les limites, rompt
avec le cadre, dépasse les espaces et propose une forme de résistance à
la productivité et au temps court.
En accordant une attention
particulière au détail, en ouvrant les espaces et les objets aux
interprétations et à une diversité d'appropriation, le design redonne au
patient cette petite marge d'action, essentielle dans le maintien ou la construction de son estime
de soi. Enfin, en replaçant au centre la dimension sensorielle des
dispositifs et des relations dans un lieu où le corps est à la fois
omniprésent et impensé, il propose à l'hôpital un nouveau paradigme.
La clôture de ce temps fort ouvrait sur deux nouvelles pistes de réflexion : la question de la création opensource versus propriétaire dans un domaine destiné au bien commun et le souhait d'une intégration de la démarche proposée par les designers par les associations de patients dans leurs plaidoyers. Comme le soulignait en début d'après-midi Laurence Salmon, directrice du Pôle de diffusion du design à la Cité du Design-Esadse, le design continue d'étendre son champ d'intervention et d'affirmer son extrême porosité avec un grand nombre de secteurs spécialisés.
À propos des temps forts de la Cité du design
Marqueurs de la nouvelle dynamique de programmation culturelle de la Cité du design, les temps forts sont un nouvelle typologie d'événements qui engage un dialogue entre les professionnels du design et une filière concernée par une exposition thématique. Initié en 2023 à l'occasion de l'exposition Bicyclette(s) : faire des vélos, ce format a pour objectif de faire se rencontrer des designers et différents acteurs du secteur public, privé, associatif, académique, etc. En apportant un autre regard qui s’appuie sur la création et en partageant des retours d’expérience, ces conversations doivent permettre d'enrichir les réflexions et les recherches collectives, d'offrir de nouvelles opportunités et perspectives, de promouvoir les savoir-faire, de favoriser la pluridisciplinarité et les synergies entre ces différents acteurs.
Il s’agit d’affirmer la Cité du design comme un lieu privilégié de rencontre et d'échange entre les designers, les acteurs économiques, la sphère culturelle, l'enseignement supérieure-recherche et tous les publics.
Le temps fort est un format de rencontres qui a été initié pour donner l'occasion d'échanger physiquement, de se rencontrer, de partager et surtout de montrer que le design a cette qualité toute particulière d'étendre en continu ses champs d'intervention et d'être en porosité avec les enjeux contemporains.
Bibliographie
• Art et design dans les lieux de soin
: pour une poétique de l'hospitalité, sous la dir. de Carine Delanoë-Vieux, Presses universitaires de Lyon, mai 2024 (à paraître).
• Couleur et soin, sous la dir. de Barbara Bay et Claire
Fayolle, Presses du réel, Dijon et École
nationale supérieure d'art et de design, Nancy, 2020.
• Design et pensée du care : pour un design des microluttes et des
singularités, sous
la dir. de Jehanne Dautrey, Presses du réel, Dijon et École nationale
supérieure d'art et de design, Nancy, 2019.
• Espèce d’espace : favoriser ou contrarier l’hospitalité dans les lieux de soins, Séminaire "Art et Design" 15 octobre 2019, Lab-ah, GHU Paris et
Université de Strasbourg, 2019.
• Éthique et design, pour un climat de soin, sous la direction de
Cynthia Fleury et Antoine Fenoglio, Presses universitaires de
France,
Paris, 2023.
• « L’expérience du patient en design, une ressource pour la conception d’un parcours d’hospitalité dans un hôpital neuf », Carine
Delanoë-Vieux (coord.), Marie Coirié, Justine Coubard-Millot et Xavier
Figuerola, dans Ocula20, la place de l’usager dans le design, vol. 20,
oct. 2019.
• « Hospitalité(s) : espace(s) de soin, de
tension et de présence », Céline Barrère et
Catherine Grout (dir. et coord.), Cahiers thématiques n° 18, Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, Paris, 2019.
• Parcours Design & santé pour tous, Isabelle Vérilhac (réd. en chef
), Pôle des technologies
médicales, Saint-Étienne, 2006.
• Revue des affaires sociales, juillet 2024 (à paraître).
• Sciences du design, n° 6, « Design et santé », sous la
direction de Sophie Pène et Franck Zenasci, Presses Universitaires de France,
Paris, 2017.
• Transmission tissulaire : le projet PANSER autrement, Roxane Andrès,
Pôle des technologies médicales. Saint-Etienne, 2006.
Webographie
• Colloque Couleur et soin, École nationale supérieure d'art et de design de Nancy, 10-11.12.2018.
• Hopitable. Performance culinaire participative, Marc Bretillot food designer, Biennale Internationale Design Saint-Étienne 2019.
• Utopitable. Pour le bien manger à l'hôpital, Marc Bretillot food designer, Biennale Internationale Design Saint-Étienne 2019.