Au cœur de la Cité du Design, des constructions circulaires en terre attirent l’œil. Ces teuleks ont été construits début mai, lors d’un atelier animé par Amélie Esséssé et Mohaman Haman dans le cadre de la Biennale. Tous les visiteurs étaient invités à mettre les mains dans la terre, ouvrir leurs yeux et leurs oreilles pour écouter conseils techniques et histoires.
Les teuleks sont des constructions traditionnelles des Mousgoums que connaît bien Mohaman Haman, architecte vivant au Cameroun. Tout en avançant les constructions, il explique par exemple que la forme particulière de la porte, élargie sur le haut, trouve son origine dans la prise en compte de tous les habitants : la vache venant traditionnellement dormir la nuit dans la maison de la femme (chaque femme ayant souvent sa propre maison individuelle), l’ouverture est adaptée à sa silhouette, s’élargissant à la hauteur de ses hanches.
À l’extérieur, les motifs en relief - facilement identifiables – ne sont pas que décoratifs. Chacun de ses « paliers » fonctionnent comme des marches, et permettent aux personnes qui créent la structure de prendre progressivement de la hauteur. L’intégralité du bâtiment peut ainsi être construite sans utiliser ni échelles ni échafaudages (même si aujourd’hui, certains font le choix de s’appuyer sur ces structures). Ils permettent aussi d’évacuer l’eau lors de la saison des pluies.
Leurs formes spécifiques ont marqué les esprits des voyageurs et colons. « Lorsque les Allemands sont arrivés, ils ont demandé des teuleks. Les hommes du village qui ont pris leurs commandes ont fait semblant de faire le travail, mais en fait, quand aucun Allemand ne regardait, c’étaient les femmes qui reprenaient leur travail », raconte M. Haman en riant. La construction était en effet une affaire de femmes, or ce n’était pas concevable pour les colons. D'ailleurs, Amélie Esséssé préside l'association Bâtir et Développer, dont l’un des programmes est centré sur la sensibilisation autour des savoir-faire des femmes bâtisseuses.
Mohaman Haman nous explique qu’aujourd’hui, dans sa région d’origine, se sont répendus les habitats à base de tôle ondulée et de ciment. Ceux-ci posent notamment des problèmes de santé. Le vent décroche les tôles qui en chutant provoquent de graves accidents. Autres désavantages notables : les constructions en ciment n’ont pas les mêmes propriétés thermiques, et le prix du ciment augmentant, certains chantiers en cours se sont arrêtés faute de financement suffisant.
Alors que les habitats traditionnels en terre ont souffert d’une image négative pendant plusieurs décennies, M. Haman observe avec espoir un changement de perception. « Récemment, nous avons de plus en plus de demandes de construction de teuleks pour en faire des lieux d’apparats, où l’on invite par exemple les amis à boire le thé. Les qualités de ces constructions traditionnelles sont appréciées et mises en valeur », confie-t-il.
La terre crue est aussi utilisée pour construire des habitations dans notre région Auvergne-Rhône-Alpes. L’association TERA l’affirme : « En Auvergne Rhône-Alpes, le pisé représente près de 80% du patrimoine construit avant 1947 ». Elle soutient les projets actuels utilisant ce matériau de construction dont le bilan énergétique est très intéressant. Le Centre international de la construction en terre, CRAterre, est installé à Grenoble. Amélie Essessé y a d’ailleurs suivi une formation en 2003. De son côté, l’association Maisons paysannes de France, qui conseille, forme et documente autour des sujets du patrimoine, a participé à l’élaboration d’un guide de bonnes pratiques pour la terre crue, accessible ici en ligne.
Carla, participante à l’atelier et étudiante en école de design, s'intéresse à ces pratiques : "Récemment, j'ai participé à la construction d'un four en terre cuite avec Laurent Tixador1, je suis heureuse de manipuler la terre crue aujourd'hui." La démarche de l'artiste Laurent Tixador consiste notamment à construire uniquement avec des matériaux disponibles à proximité.
Discrètes, les initiatives locales cherchant à construire autrement n'en sont pas moins actives près de chez-nous...
La première fois que j’ai visité la Biennale, j'ai été frustrée, j'ai trouvé que les projets ne faisaient pas assez avancer les choses : on n'a plus le temps ! Puis j'ai visité l'exposition Singulier Plurielles et j’ai ADORÉ. Cet espace est incroyable, il m’a donné une vraie respiration et inspiration. Il y a vraiment des choses qui se passent dans le monde ! Il y a le savoir et il y a le faire, surtout le faire avec les habitants.