(Anne Chaniolleau) Le titre de l'exposition fait référence au style littéraire qu'on appelle l'autofiction et dans lequel l'auteur est à la fois le narrateur et le personnage principal de l'histoire. Ce qui nous intéresse dans ce jeu de mots - entre autofiction littéraire et auto-fiction, c'est à dire une fiction de l'automobile - c'est d'interroger les récits qui sont liés à cet objet.
(Olivier Peyricot) L'automobile aujourd'hui est un objet extrêmement complexe, ramifié sur plusieurs niveaux : au niveau des récits autour des voitures qui racontent nos propres histoires, mais aussi en termes d'infrastructures. L'automobile est rattachée à de nombreuses infrastructures techniques, culturelles, matérielles, etc. C’est un objet extrêmement présent - il y a actuellement 1,2 milliard d'automobiles sur terre - qui modèle les paysages, les environnements, nos modes de vie. Et c'est une réalité. Alors, comment rebâtir des fictions autour de ça, des fictions qui se veulent réelles, des récits ?
C'est par ces récits de l'automobile que nous allons pouvoir nous réapproprier les fictions de l'automobile et donc peut être bifurquer, muter, changer d'usage.
Cette exposition retrace dans notre histoire notre rapport à l'automobile et pose des questions pour s'ouvrir sur les scénarios du futur. De nombreux scénarios s'ouvrent à nous. Y compris celui de la fin de l’automobile personnelle ?
(AC) Je dirais que ce serait merveilleux ! S'il y a bien une chose qui nous a semblé évidente à propos des bifurcations c'est d’abord la question de la démocratie technique. La chose qui nous semble la plus importante, c'est de retrouver une forme d'autonomie technique, de réapprendre à réparer, à détourner et ceci de façon collective. Il va falloir partager les savoirs techniques. Je pense par exemple à l'existence de garages associatifs qui sont en train de se multiplier un peu partout en France. Dans ces garages, on peut apprendre à réparer sa voiture avec des garagistes.
(OP) Il y a beaucoup à repenser en matière de partage, en matière de conception de l'automobile elle-même, des formes de mobilité, beaucoup de situations où l'on peut parcourir des distances avec d'autres types de moyens de transport. On s'oriente petit à petit vers la voiture comme objet de grande distance. Et on voit émerger de toute part les services à la personne sur le dernier kilomètre : il y a aujourd’hui énormément de concurrence pour ces déplacements.
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Informations
(AC) Dans l'exposition, on présente un extrait de ce film expérimental dans lequel le personnage principal féminin se retrouve coincé dans une banlieue australienne qui a été créée justement sur le modèle automobile, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de centre-ville. C'est un plan en grille. C'est la banlieue qu'on connaît aujourd'hui. Ce personnage n'a pas de voiture puisque son mari part travailler tous les matins avec. Donc, cet isolement produit une espèce de fiction cauchemardesque dans lequel l'héroïne se bat avec cette condition, cet isolement, cette exclusion qui est liée à l'infrastructure automobile.
ArticleAutocritiqueEntretien avec Anne Chaniolleau, co-commissaire de l’exposition Autofiction de la Biennale Internationale Design de Saint-Étienne 2022(OP) Une pièce historique, celle de Ant Farm : un collectif californien qui, dans les années 72-73, a développé le Mediavan, c'est à dire un véhicule qui servait à capter de l'information. À l'époque ce sont des vidéos, des images, des messages. On est un peu sur les prémisses du véhicule autonome, c'est à dire un véhicule capable de capter de l'information à un endroit et de la déplacer avec lui pour la rediffuser à d'autres endroits.
(OP) Le C-5 Sinclair est un objet également historique des années 80. Il a été développé par un ingénieur spécialisé dans la micro-informatique Lord Clive Sinclair.
Cet ingénieur a eu un succès phénoménal à travers ses micro-ordinateurs et il a décidé de développer des véhicules qu'on appelle des “commuters”, des véhicules pour “commuter” entre banlieue et centre ville. En se disant que c'était des infrastructures, un petit peu similaires à celles de type informatique finalement, lorsqu'on se déplaçait dans des réseaux. Ça a été un échec commercial à l'époque.
Ce qui est intéressant, c'est qu'aujourd'hui son neveu Grant Sinclair a repris le flambeau avec une proposition de type véhicule léger. C'est un véhicule qu'on appelle un vélomobile : équipé d'une assistance électrique, il permet de “commuter” sur des distances courtes entre banlieue et centre-ville.
(AC) Un autre projet qui nous intéresse beaucoup c'est un moteur électrique créé par l'entreprise électrique GT, une entreprise américaine. Ce moteur électrique permet de transformer une voiture thermique, donc une voiture classique, en voiture électrique, plutôt que d'en produire de nouvelles. C'est un projet intéressant pour nous, pas tant du point de vue du moteur électrique, que pour la possibilité de réduire le parc d'automobiles neuves. C'est une des solutions écologiques, en tout cas du point de vue de la production.
(OP) Le Peugeot e-Legend est un concept car que nous prête Peugeot. Il a été développé par l'équipe de Matthias Hossann, nouveau directeur du design de chez Peugeot. C'est un véhicule électrique et autonome. Ici, le travail des designers nous intéressait pour la question des formes, leur façon de modéliser un objet. Ce sont de véritables spécialistes de la courbe, sur laquelle ils font des travaux extrêmement complexes de volume, de mise en forme de l'objet en pensant à cet objet comme à une sculpture qui va être déplacée dans un espace public et qui va réagir à la lumière, attraper des informations de toute part. Une des caractéristiques de ce projet est que Matthias et son équipe s'intéressent à l'intérieur du véhicule en se disant que c'est une pièce supplémentaire de l'habitation aujourd'hui.
(AC) Un projet de détournement et de recyclage : Kurugama. Il s'agit d'un projet réalisé par un collectif d'artistes qui a récupéré une carcasse automobile pour en faire un four à céramique. Dans ce four on peut faire cuire des pièces du quotidien comme des assiettes etc. Toutes ces formes sont fabriquées à partir de pièces détachées qu'ils ont moulées ou reproduites. Cela produit toute une série d'objets du quotidien qui sont liés à la formalité de l'automobile.
ArticleKurugama, épisode 1Choisir l’essentiel : où il est question de faire cuire des pièces de céramiques dans une carrosserie de Fiat 600