Le mouvement Arts and Crafts se caractérise par une volonté de fusion de l’art et de l’artisanat et peut être considéré comme une source du design. Animé par des théoriciens, des artistes et des architectes, il concentre plusieurs enjeux qui pourraient trouver une nouvelle actualité dans la création contemporaine en art et en design. Le rapport à l’histoire de l’art fait non de ruptures mais de résurgences, une attitude critique portée à des utopies concrètes en lien avec l’écologie, une relation assumée à la technique et à l’artisanat, le brouillage de la frontière entre art, art décoratif et design sont autant de questionnements qui trouvent un écho particulier dans l’art et le design aujourd’hui.
L’utopie d’Arts and Crafts, qui s’incarne dans des communautés d’artistes-artisans, propose une forme de modernité alternative, largement distincte du programme des avant-gardes. L’esthétique de ce mouvement ne se projette pas dans un idéal universaliste et absolu, érigé sur une rupture avec le passé, mais revendique un processus de création des formes inscrit dans une historicité. Le projet d’Arts and Crafts n’en est pas moins politique mais son utopie prend une forme très concrète dans des communautés de travail en lien avec la nature, manifestant une première préoccupation écologique. D’autre part, les Arts and Crafts opèrent une fusion de l’art, de l’artisanat et de l’ornement, qui ne se réduit pas à la tradition des arts décoratifs. Les motifs des tapisseries et les tableaux de Dante Gabriel Rossetti se confondent dans une même aspiration vers une unité décorative qui reconsidère la valeur d’usage de l’œuvre, comme les vitraux et peintures d’Edward Burne Jones. À l’opposé d’une autonomie de l’art, ces productions induisent une circulation entre l’œuvre d’art et l’objet du quotidien. Cette démarche ornementale s’accompagne également d’une revendication d’un savoir-faire. Qui prend aussi à rebrousse-poil un trait convenu de la modernité. Il s’ensuit des formes qui attirent par leur singularité en même temps qu’elles échappent à un certain nombre de critères de goût du projet moderne.
Ces quelques traits rapidement esquissés sont autant de questions et de pistes de réflexion pour appréhender les résurgences d’Arts and Crafts dans la période actuelle. Ils demanderaient à être précisés à travers les écrits de William Morris et les réalisations de ses protagonistes. Ces quelques éléments permettent néanmoins de faire l’hypothèse d’une persistance de ces questions qui trouvent aujourd’hui une résonance particulière. Depuis les années soixante-dix, de nombreux artistes ont intégré dans leurs œuvres des éléments de mobiliers et ont investi le domaine du décoratif. Ces œuvres se rapportent à une forme d’ambiguïté (entre objet et peinture notamment) et donc d’impureté qui se distingue de la réduction moderniste vers la forme autonome. L’appropriation de techniques relevant de l’artisanat dans certaines démarches, comme le textile dès les années soixante-dix et, aujourd’hui, le renouveau de la céramique pourraient être pleinement appréhendés à travers un phénomène contemporain de réminiscences des enjeux portés par Arts and Crafts. Ces questionnements se déclinent également sur le plan historiographique avec la réévaluation de démarches ou de pans de la production d’un artiste que la modernité avait plutôt minoré. L’intérêt récent pour les céramiques de Lucio Fontana illustre pleinement ce renouvellement des approches. Dans le champ du design, l’héritage contemporain d’Arts and Crafts est réel et peut être revendiqué comme dans le design hollandais depuis le début des années 2000. Les références à William Morris peuvent aussi être convoquées par les designers afin de situer leurs pratiques dans un registre critique à l’égard du système de production et de consommation contemporain. On s'interroge également sur les connotations politiques et anthropologiques qui pourraient accompagner l’indexation de certaines démarches artistiques à l’artisanat, au décoratif ou convoquant un statut ambigu de l’objet à partir de l’épuisement du récit moderniste.
Cet aperçu révèle donc l’actualité de certains enjeux qui se cristallisent
autour d’Arts and Crafts :
– un rapport à l’histoire fait non pas de ruptures
mais de résurgences
– une attitude critique rapportée à des utopies
concrètes
– une relation assumée à la technique, au savoir-faire ou à
l’artisanat
– une expansion de l’œuvre vers le décoratif et le design qui
tend à remettre en cause les normes de goût
Les objectifs du programme sont :
– étude des modalités de transmission et d’héritages du mouvement Arts and Crafts et procéder à un recensement et à une cartographie des actualisations contemporaines d’Arts and Crafts
– contribution aux études sur la culture matérielle qui réunissent art et design dans une approche commune, un champ d’études largement développé dans le monde anglo-saxon et encore balbutiant en France ;
– renouveler l’approche des utopies concrètes et du rapport à l’écologie en art et en design ;
– aborder les enjeux de la création d’objets aujourd’hui qui se situent volontairement entre art et design ;
– analyser l’actualité de la technique et du savoir-faire manuel dans la production en art et design ;
– développer une articulation innovante entre théorie et création en art et en design. En lien avec l’approche même d’Arts and Crafts qui se fonde sur une intelligence créative de la main, le programme de recherche se fonde et implique pleinement les pratiques artistiques, de design et les savoir-faire spécialisés de l’artisanat.
– production par les étudiants d’Art et de Design (céramique, bois, verre, art textile, peinture, bijou) ;
– proposer des formes et des modes de conceptualisation qui opèrent un réagencement dans le monde d’aujourd’hui (globalisation, crise écologique, acculturation) de savoirs anciens inscrits dans un espace local et une culture spécifique ;
– professionnalisation des étudiants d’art et de design à travers la capacité à mobiliser des savoir-faire spécifiques et à travailler avec des artisans spécialisés.
Le programme de recherche Arts and Crafts aujourd’hui a été initié depuis 2018, élaboré en
partenariat avec L’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris (ENSBA),
le Musée d’art moderne et contemporain (MAMC+) ainsi qu’avec des chercheurs du
CIEREC (Université Jean Monnet, Saint-Étienne) et du LARHRA (Université de Lyon
2).
Dans ce cadre, il a bénéficié d’un financement de
Saint-Étienne métropole et du ministère de la Culture.
Une
série de séminaires et un colloque ont été organisés successivement.
En complément, en 2021, il a été entrepris d’étendre le
partenariat sur ce programme à l’international avec :
- l’Académie Royale des Beaux-Arts de Bruxelles ArBA,
Belgique
- l’Académie d’art et design de Bratislava, VSVU, Slovaquie
- La Faculté des Beaux-Arts de l’Université de Porto,
FBAU.Porto Portugal
- L’école des arts visuels et médiatiques de l’Université de
Québec à Montréal, UQAM, Canada
- L’institut National des Beaux-Arts de Tétouan (partenaire
associé)
De plus, le projet intègre un grand nombre de partenaires du
milieu professionnel : artisans, lieux de production et de diffusion.
Ce programme de recherche pour 2021-2024 a obtenu un financement d’Erasmus + sous le volet Partenariats de coopération dans l’enseignement supérieur.
Développée par les écoles partenaires du programme Erasmus +, la plateforme collaborative
s'adresse aux étudiants et enseignants d'écoles d'art, aux artisans,
artistes et designers, aux critiques et commissaires d'expositions... et plus
largement à toutes personnes intéressées par ces questions.
Chacun peut proposer un article qui
est ensuite soumis au comité de lecture composé d'enseignants chercheurs de
chaque école.
www.artsandcraftsaujourdhui.com