Entretien

Après la révolution à l’Amicale laïque Michelet

Choisir l’essentiel : expositions & projets underground

par Coline Vernay

Concert Nicolas Stephan, saxophone, à l’amicale laïque Michelet © les étudiants de l’atelier Architecture as a political practice

Rencontre avec Xavier Wrona, co-fondateur de l’association Après la révolution, et enseignant à l’École d’architecture de Saint-Étienne (Ensase).

Que préparez-vous pour la prochaine Biennale Internationale Design Saint-Étienne ?

À l’Ensase, les travaux actuels complètent ceux de l’année dernière, centrés sur la thématique de la production. Ce semestre, avec les étudiants et étudiantes, nous travaillons collectivement sur la question de la planification et les économies planifiées. Ce type d’économie inauguré par l’URSS (et repris un peu partout jusqu’à la mise en place du néolibéralisme et des économies de marché massivement dérégulées des années Thatcher et Reagan), a ces dernières années retrouvé une forte actualité à travers les idées de Planification écologique, de Green New Deal, de réactivation du Haut-Commissariat au Plan, de réindustrialisation… Lors de journées d’étude que nous avons menées sur ce thème en octobre 2021, nous avons identifié des problématiques importantes liées à la notion de planification et sa nouvelle actualité. Nous avons constitué un corpus de textes à partir desquels les étudiantes et étudiants travaillent actuellement.

Ces travaux ont lieu dans le cadre de la troisième année de notre plan quinquennal de recherche portant sur l’hypothèse des sociétés de basse énergie. Cette hypothèse, portée notamment par le philosophe Pierre Caye, va à l’encontre des scénarii dominants de sortie du désastre écologique contemporain par les nouvelles technologies reposant sur de la très haute consommation d’énergie comme c’est le cas de l’idée de Troisième révolution industrielle de Jeremy Rifkin. Caye, que j’ai le bonheur d’avoir comme directeur de thèse, avance notamment cette idée d’une grande importance que les sociétés de basses énergies telles qu’elles existaient dans l’antiquité grecque ou romaine usaient de peu d’énergies et créaient de nombreuses institutions là où les sociétés de haute énergie, pratiquent un extractivisme terriblement destructeur, instituent peu voire détruisent un grand nombre d’institutions de la vie collective.

Concert Nicolas Stephan, saxophone, à l’amicale laïque Michelet © les étudiants de l’atelier Architecture as a political practice
Concert Nicolas Stephan, saxophone, à l’amicale laïque Michelet © les étudiants de l’atelier Architecture as a political practice

Cette hypothèse, portée notamment par le philosophe Pierre Caye, va à l’encontre des scénarii dominants de sortie du désastre écologique contemporain par les nouvelles technologies reposant sur de la très haute consommation d’énergie

Xavier Wrona

Quels sont les liens entre votre association Après la révolution et les amicales laïques ?

Lorsque nous avons créé Après la révolution, un de nos objectifs était d’ouvrir un lieu politique. Rapidement, nous nous sommes rendu compte que de nombreux lieux de ce type existaient déjà, y compris à Saint-Étienne, et que parmi ceux-ci certains avaient besoin d’énergie pour se maintenir.
Nous avons rencontré Gilles Epale, à la fois président de l’amicale laïque Michelet et de la Ligue de l’enseignement de la Loire, et avons ainsi pu visiter plusieurs amicales, dont je dois dire qu’elles m’ont vraiment étonné. J’y voyais exactement ce qui nous intéressait dans l’idée d’ouvrir un lieu : le mélange des populations, des tranches d’âge, la grande diversité des activités qui s’y pratiquent… mais dans ces lieux il y a déjà une longue histoire, une longue culture politique de la ville de Saint-Étienne. Alors, nous avons commencé à organiser des événements avec l’amicale laïque Michelet, notamment une conférence d’Aaron Betsky en 2017 dans le cadre d’une semaine internationale sur le thème de la santé publique. Puis nous avons été accueillis pour y domicilier notre association, y avons installé nos machines d’impression, nous y imprimons notre journal, travaillons à participer de la vie et des activités du lieu.

Plan des tunnels © Archives municipales de Saint-Étienne
Plan des tunnels © Archives municipales de Saint-Étienne

Quel type de lieu cherchiez-vous à créer ?

En 2015, j’ai été invité en résidence pendant 3 mois dans un quartier noir de Chicago. Dans ce quartier existe un lieu qui s’appelle l’Experimental station. Ce lieu est un héritage de la contre-culture des années 60-70. Dans sa forme actuelle, il a été fondé en 2002 par Connie Spreen et l’artiste Dan Peterman. Il est situé dans un espace urbain très spécifique, à l’articulation entre le quartier majoritairement blanc de la très riche Université de Chicago et le quartier noir du South Side, affligé de nombreux problèmes. Dans ces quartiers sud de Chicago on dénombre 600 morts par balle par an, des problèmes divers et importants qui exposent notamment les jeunes à la violence. Face à ces diverses difficultés, L’Experimental station mène de nombreuses tentatives comme celle d’ouvrir un espace dédié à l’entretien de vélos, tenu par des jeunes du quartier, qui y apprennent un métier, à gérer une économie, ils portent des tabliers de couleurs différentes selon ce qu’ils savent faire et développent un mode de déplacement qui leur permet d’éviter des situations de dangers de leur environnement urbain, d’avoir une pratique sportive régulière… De ce fait, l’Experimental station est devenue une sorte de lieu de santé publique. On y propose notamment un accompagnement sur les questions liées au diabète, un marché de producteurs s’y est installé pour contrecarrer le phénomène dit de Food desert
Durant cette résidence, ce lieu m’a marqué et avec des camarades, on voulait essayer de créer quelque chose de ce type, avant de réaliser que cet esprit persistait en quelque sorte à Saint-Étienne depuis un siècle dans le réseau des amicales laïques.
Nous avons alors décidé de nous installer à Saint-Étienne avec ma compagne, elle aussi intéressée par l’idée de nous investir dans ces lieux, d’essayer de participer de les faire vivre, mais aussi, car on avait pu observer que son tissu militant était vieillissant. Dans plusieurs amicales, faire entrer de jeunes énergies, faire connaître une histoire d’engagement et de militantisme est une nécessité. Elles sont aussi un horizon possible d’engagement pour nombre de gens en quête de moyen de s’investir dans la vie sociale et politique urbaine de tous les jours comme c’est notre cas. Le mouvement d’éducation populaire qu’elles ont initié est vraiment très impressionnant.

Qu’avez-vous découvert à l’amicale laïque Michelet, et comment investissez-vous l’espace ?

À Michelet, on nous a assez rapidement fait part de l’existence des tunnels sous l’amicale, qu’ils avaient en tête de rouvrir depuis plusieurs années : il s’agit de 3 tunnels de plus de cent cinquante de mètres de long. À l’origine, il s’agissait de réservoirs d’eau pour les fontaines de Saint-Étienne. Mais l’expansion rapide de la ville a rendu cet objet technique sous-dimensionné et obsolète. Le barrage du Gouffre d’enfer a alors été construit et s’est substitué à ces tunnels pour la distribution en eau. Les tunnels ont alors été abandonnés, inoccupés, mais soumis à aucun stress pouvant les endommager, ils sont donc restés en très bon état. En 1943, ils ont été transformés en abri antiaérien d’une capacité d’accueil de deux mille personnes. Nous avons rencontré des personnes qui s’y étaient réfugiées pendant les bombardements de 1944. Ces espaces souterrains ont aussi servi de stockage pour les bobines les plus précieuses de la Cinémathèque. Les tunnels ont été de nouveau murés et oubliés peu de temps après la fin de la guerre jusqu’à leur réouverture en 2017. Certaines personnes qui les avaient fréquentés enfants y sont retournées lors de cette exposition dans le cadre de la biennale.
Aujourd’hui, l’objectif est de rouvrir ces lieux aux Stéphanois et Stéphanoises avec deux objectifs principaux. D’une part à des fins patrimoniales, afin de faire connaître cette histoire de l’eau à Saint-Étienne, car ces tunnels avaient aussi pour fonction, semble-t-il, de protéger la ville des crues dévastatrices du Furan. Mais ils sont aussi un lieu mémoriel et possiblement de travail historique de l’histoire des bombardements. Un second objectif est de donner à ces espaces des usages actuels à fonction sociale et culturelle. C’est en ce sens que pour la biennale 2019 la Ville de Saint-Étienne a mis à disposition les moyens nécessaires pour ouvrir l’ancien escalier d’accès et en sécuriser les abords. Nous y avions alors installé une exposition de travaux d’étudiants de l’école d’architecture, portant sur les situations de transformations politiques majeures dans le monde. Les projets d’étudiants étaient ainsi projetés dans l’espace avec plusieurs vidéoprojecteurs. Les visites étaient organisées sur rendez-vous, et le public venait à la fois pour voir l’exposition et découvrir les tunnels. Pour la Biennale Internationale Design 2022, nous projetons d’installer une autre exposition de travaux d’étudiantes et étudiants dans ces tunnels, sur la question de la production, en lien notamment avec l’exposition d’Ernesto Oroza. 

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